Chapitre 1 : Commencement...

Bonjour tout le monde!! <3<3<3
Alors ceci est un petit OS. Il relate un passé ; celui de ma petite Eien. Il faut savoir que le monde d'Eien, tel que je l'ai conçu est bien plus vaste qu'il n'y paraît. Je l'ai bien souvent remanié avec ma meilleure amie, pour des RPs. J'ai étoffé Eien... Du coup, je voulais vous faire découvrir un peu cette part d'elle. Eh bien entendu, cette fois, cet univers est made by ME! Pas de Law, ou d'univers One Piece.
Alors lisez et dites ce que que vous en pensez!! ^^
Bonne lecture
Kiss <3<3<3<3
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Un vent doux et printanier soufflait sur le royaume de Darconia. Il caressait de son souffle léger le feuillage touffu des arbres, portait les oiseaux dans leur vol et courbait l'herbe verdoyante des prairies alentour. Deux soleils immenses et majestueux brillaient dans le ciel réchauffant les terres en contrebas, après un hiver des plus rudes. Autant dire que ces sphères incandescentes étaient idolâtrées après pareille saison glaciaire.
Tout reprenait vie, la nature s'éveillait lentement après les doux tourments de la période hivernale. Il avait été bien plus long que les années précédentes. Les oiseaux revenaient de leur périple, et ravissaient, de leurs chants, les oreilles des habitants. On notait également la naissance de petits bourgeons sur les branches des arbres ainsi que ceux des fleurs sortant de terre. C'était la saison du renouveau comme se plaisaient à le dire certains.
La joie débordait des cœurs du peuple alors que la fête du printemps se préparait aussi bien dans les villes et villages que dans le château. Ce dernier ne se trouvait point sur une colline ou au centre de la cité prospère. Bien sûr que non. Depuis des siècles, l'édifice majestueux et signe de la royauté flottait sur une sorte de plateforme au-dessus de Darconia.
À divers endroits, on voyait des chutes d'eau tomber du palais, alimentant les rivières et fleuves des terres du royaume. Un gigantesque cerisier, aux fleurs éternelles, dispensait ses pétales roses autour de l'îlot et les contrées les plus proches.
Et par moments, on apercevait quelques dragons, immenses et fiers, planer et virevolter autour de l'île royale. Mais, il y eut également au milieu des corolles rosâtres et des créatures imposantes, autre chose. Cela se dirigeait lentement vers l'édifice ancestral. Il ne s'agissait point d'un animal ou plutôt si. Sauf que c'était bien différent.
En effet, quatre pégases à la robe d'une blancheur incomparable galopaient à un rythme régulier vers le château dans les hauteurs. Ils tiraient derrière eux, un carrosse blanc dont un liseré d'or recouvrait tous les angles et bordait les ouvertures.
Il fallut quelques minutes aux bêtes célestes pour atteindre le palais. Ils ralentirent l'allure, et s'immobilisèrent devant l'entrée de la demeure royale. Le gravier crissa sous les roues et les sabots, alors qu'un laquais s'empressait d'ouvrir la porte de la voiture. Dans un geste respectueux, il s'inclina tandis que les passagers en descendaient un par un.
Le premier était un homme d'une quarantaine d'années. Il arborait une toge immaculée, tandis qu'une couronne simple d'argent reposait sur le sommet de son crâne. Ses longs cheveux raides possédaient la teinte blanche et pure des nuages. De petits yeux bleus, fins et malicieux, éclairaient un faciès marqué par le temps. À le voir ainsi, on jurerait qu'il s'agissait d'une personne cordiale et enjouée, mais il n'en était rien. Loin de là, même. Shibuya régnait en maître sur les cieux. Dieu suprême, il regardait les autres races de haut. Toutefois, à de rares occasions comme celle-ci, et cela afin d'éviter une guerre aussi vaine qu'inutile, il participait à des réunions diplomatiques. Ces dernières ne visaient à rien de plus qu'à maintenir de bonnes relations entre leurs deux peuples.
Cependant, cette visite revêtait également un autre but. Shibuya, dont la retraite approchait aspirait à présenter son successeur aux dirigeants de Darconia.
Sortant à son tour de la calèche, un jeune homme aux cheveux blond platine apparut. Affublé de la même tenue de soie que Shibuya, l'individu balaya de ses prunelles dorées le palais se dressant en face de lui avant de ramener son regard vers la porte demeurée ouverte. Avec déférence et galanterie, il tendit une main à l'adolescente s'apprêtant à quitter le carrosse. Avec une expression empreinte de douceur, il aida l'ultime passagère à descendre du moyen de l'attelage.
Elle était de taille moyenne, bien plus petite que le jeune homme, et ses longs cheveux d'ébène contrastaient fortement avec ceux des deux autres. Son teint pâle était éclairé par ses grands yeux verts débordants de vie et d'énergie. Ses lèvres fines, teintées de rose, s'étiraient sur un léger sourire.
Ce fut ce moment que choisit un domestique pour jaillir de l'intérieur du palais et se précipiter aussi dignement que possible vers les invités du roi de Darconia. Il s'inclina plusieurs fois en saluant le trio avant de les inviter à le suivre. Ils gravissaient les marches de l'entrée lorsque le monarque, en personne, se dressa devant la lourde porte de chêne de plusieurs mètres de haut. Autant dire que seule la magie pouvait l'ouvrir.
Ce nouveau personnage, un homme d'une cinquantaine d'années, les cheveux verts tirant sur le gris par endroit, et les yeux argentés arboraient un kimono de satin aux couleurs chatoyantes, brodé de pierres précieuses.
Shibuya s'immobilisa devant le seigneur des lieux et le salua avec courtoisie, avant de se voir introduit dans le château. Le hall était immense — sans nul doute aussi grand qu'un terrain de football. — Et au fond, un escalier tapissé de rouge montait à l'étage où il se divisait en deux afin de desservir les deux ailes.
Quatre lustres de cristal, imposants, étaient éclairés par une petite flamme bleutée. Ils scintillaient de mille feux et ravissaient ainsi les regards. De part et d'autre, on remarquait la présence de colonnes de marbre — Sculptées de l'une de ses créatures mythiques et légendaires à écailles s'entrelaçant à un phénix, une touche d'or fin venait agrémenter le tout. — Sur les murs, trônaient également quelques tableaux tandis qu'au pied de l'escalier deux statues représentant, non pas des phénix ou des dragons, mais un sphinx se dressaient.
Cependant, ce n'était pas tout, et cela frappa le petit comité. De part et d'autre du tapis rouge étendu sur le sol, les domestiques du palais étaient alignés. D'un côté se trouvaient les femmes alors que de l'autre il ne s'agissait que des individus de sexe masculin. À l'apparition des invités du château, tout le personnel s'inclina respectueusement.
Sortant du groupe, un homme de haute taille, les cheveux ondulants sur le crâne, et vêtu d'un uniforme de majordome, s'approcha et exécuta une révérence.
"Céryos, je te confie nos convives. Et fais monter leurs bagages dans leurs chambres.
– Bien Majesté.
Il n'eut guère besoin de parler, un seul regard suffit pour que quelques domestiques s'activent et partent en quête des valises des visiteurs.
De son côté, le roi, de son prénom Okra, pivota vers Shibuya et le questionna sur l'identité des personnes voyageant en sa compagnie. Certes, il se doutait qu'il s'agissait là du futur souverain des cieux, mais la parité de la demoiselle demeurait un mystère qu'il lui tardait d'éclaircir.
– Qui vous accompagne, Shibuya ? Cela n'est guère dans vos habitudes de me faire ainsi languir.
Stoïque comme toujours, ne laissant transparaître aucune émotion, Shibuya se tourna vers le couple derrière lui.
– Toutes mes excuses, Okra. Je manque à mes devoirs. Voici Hayato, l'homme qui prendra les rênes du paradis, et fiancé de ma fille, Eien. Celle que vous allez marier dans quelques jours."
Abasourdi, Okra dévisagea l'adolescente avant de revenir sur Shibuya. Ce Dieu se révélait une fois de plus bien trop imprévisible. Il savait, certes, devoir mener un mariage dans le Phénoxial, mais jusqu'à présent, il ignorait l'identité de la mariée. Et dire que jusqu'à maintenant, ce fourbe de Shibuya dissimulait sa descendance unique aux yeux de tous. Ce qui l'avait même poussé à douter de l'existence de la demoiselle. La possibilité que cette dernière soit affublée d'une tare immonde s'était d'ailleurs fait un chemin dans son esprit. Or, il apparaissait qu'il se leurrait. Eien était tout simplement magnifique, d'une beauté digne des êtres divins.
Ne s'attardant pas davantage, il dispensa quelques consignes avant de noter avec contrariété l'absence de la pièce maîtresse de son personnel : Otshi. Où était donc passé cet idiot ?! Ce fut avec cette interrogation muette qu'il s'éloigna abandonnant la charge de ses invités à ses domestiques.

En fin d'après-midi, soit près de quatre heures plus tard, Eien déambulait seule dans les jardins luxuriants du palais. Tant de beauté en cet endroit l'émerveillait et suscitait en elle des sentiments qu'elle ne connaissait pas jusqu'à présent. Imperméables aux émotions humaines, ces dernières ayant été depuis des siècles scellées, bannies de l'existence même des dieux, Eien était troublée.
C'était magnifique... Son organe vital palpitait, frémissait légèrement face à tout cela. Certes, des lieux comme celui-ci, il en existait des tas à Célestia. Toutefois, contrairement à celui devant elle, ils étaient ternes et dépourvus d'âmes. Oui, c'était exactement cela, songea la déesse. Les jardins de son royaume ne suscitaient rien en son être puisqu'ils ne possédaient pas de cœur eux-mêmes.
Parvenant au centre du parc, là où se dressait une gigantesque fontaine de pierre blanche, la petite brune sourit. Elle admira de ses prunelles émeraude la statue ornementale représentant un phénix. Elle crachait de son bec grand ouvert de l'eau claire et fraîche. Sans l'once d'une hésitation, elle s'approcha du bord, s'extasia sur la circonférence impressionnante de cette construction avant de plonger ses doigts frêles dans le liquide. Un sourire étira les lèvres fines de la princesse, tandis que son regard juvénile se portait sur l'animal blanc et majestueux glissant lentement sur la surface du bassin.
Elle demeura ainsi, les yeux rivés sur le cygne, jusqu'à ce qu'agacé de se voir épier, sans doute, il n'ouvre grand ses ailes et ne s'envole. Doucement, Eien se redressa et balaya l'endroit de ses prunelles curieuses et subjuguées. Elle repéra un banc de pierre un peu en retrait et à l'ombre d'un arbre gigantesque, elle alla y prendre place. Les mains jointes sur son giron, elle observait le paysage s'offrant à elle, fascinée. Était-ce parce qu'elle découvrait pour la première fois de son existence un autre royaume que le sien ?
D'un geste gracieux, elle ramena une mèche de cheveux derrière l'oreille, et suivit la danse aérienne de quelques oiseaux avant de remarquer le ballet des dragons bien plus haut. Médusée, émerveillée aussi, elle les admira. Seigneur, elle les enviait ! Ils devaient se sentir si libres à pouvoir voler ainsi et aller où ils le voulaient. Tendant la main vers les créatures mythiques, elle soupira puis l'abaissa de nouveau.
Silencieuse, elle baissa le regard sur ses cuisses lorsque tout à coup une pomme rouge tomba sur le sommet de son crâne. De surprise, elle sursauta tandis que le coupable roulait sur le sol et se révélait à son attention. Eien considérait l'objet du délit des yeux, avant de noter que quelqu'un ou quelque chose l'avait entamée.
À peine cette constatation se fit dans son esprit qu'un bruissement suivi d'une exclamation et d'un bruit mat se firent entendre. Tressaillant de plus belle, prise de panique, l'adolescente bondit sur ses pieds, tout en se retournant d'un bloc.
Les buissons s'agitèrent dangereusement. Puis, tout à coup, se dressant de toute sa taille, un inconnu en sortit. Médusée, Eien cligna des paupières et dévisagea l'individu à quelques pas devant elle. Il s'agissait d'un jeune homme, plus âgé qu'elle, mais guère plus. Il était de haute taille et possédait une carrure semi-athlétique. Il avait de longs cheveux rouges qui cascadaient librement sur ses épaules, et des yeux d'un bleu profond qui se portèrent sur sa personne. L'éclat de ces derniers frappa Eien de plein fouet, faisant battre son cœur un peu plus vite. Décontenancée, face à de nouvelles émotions, la princesse ne comprit point les réactions de son propre corps. Chamboulée, la déesse posa une main à la hauteur de son organe vital.
Sortant des fourrés, il marcha avec calme et en se tenant le dos vers la jeune fille. Cela faisait un petit moment qu'il l'observait depuis la branche de laquelle il était tombé. Dès qu'elle était apparue, ses pas crissant sur le gravier, il avait eu comme un coup au cœur. Belle, voilà ce qu'il avait pensé en la voyant alors qu'il s'interrogeait sur son identité.
Décelant de la crainte dans les yeux de la jeune fille, il leva les mains en signe d'apaisement et se présenta.
"Ne vous inquiétez pas. Je m'appelle Otshi Salvas, je suis l'un des gardes royaux.
– Et vous vous perchez souvent sur les arbres ? fit la brune un rien sarcastique.
Embarrassé, il sourit bien malgré lui et se gratta l'arrière de la nuque avant de confier :
– C'est un endroit parfait pour dormir et se cacher lorsqu'on ne veut pas être trouvé.
– À condition de ne pas en tomber, conclut la demoiselle un sourire au bord des lèvres. Et qu'est-ce qui effraie donc un chevalier de votre trempe et qui justifia que vous vous dissimuliez de la sorte ?
Sans détour ni retenue, prenant sans conteste la jeune fille en face de lui, pour l'une des domestiques de Shibuya, il révéla ses pensées. Il détestait Shibuya, et ne voulait aucunement avoir affaire avec lui. Oh que non ! Il était bien trop protocolaire, froid et dépourvu d'émotions. Ne mâchant point ses mots, il accabla les dieux de bien des qualificatifs. Il parla sans méfiance, sans se douter une seule seconde que celle qu'il imaginait être une servante n'était autre que la princesse en personne. Et bien loin de se présenter, Eien lui prêta une oreille des plus attentives, tout du moins, jusqu'à ce qu'un claquement au-dessus d'eux n'attire une fois de plus le regard de la jeune fille.
Un dragon d'un noir de jais planait au plus près du palais avant d'entamer une descente lente vers le bâtiment. Émerveillée, Eien le suivit des yeux tandis qu'Otshi la rejoignait d'un pas. Il ramassa ce qu'il restait de sa pomme.
– Envie de voler ?"
Décontenancée par cette question, ne comprenant pas ses mots, elle le dévisagea longuement. Amusé par son incompréhension et ne lui laissant guère le loisir de tergiverser plu longtemps, il fondit tel un rapace sur sa main, referma ses dactyles sur ceux d'Eien avant de prendre une apparence semi-dragonique. La stupeur se peignit sur le visage de l'adolescente qui ne s'attendait, de toute évidence, guère à cela. Et lorsque de demi-humain, il revêtit une forme animale aux écailles de feu. Elle en fut comme éblouie. Sans trop savoir comment, elle se retrouva assise sur le dos du dragon qui filait haut dans le ciel pour offrir un baptême de l'air à sa passagère.
Époustouflée par la vue panoramique qu'elle avait du royaume, par cette sensation enivrante de liberté qui l'envahissait, la happait, l'engloutissait, elle sourit. Elle se sentait si vivante en cet instant. Un moment qu'elle ne regretterait jamais, de cela, elle en était convaincue. Ce fut pour cette unique raison qu'elle profita de ce moment qu'elle jugea bref et grava en elle chaque nouvelle émotion.

Quarante-cinq minutes plus tard, Otshi raccompagnait Eien au château lorsqu'il nota l'effervescence à l'intérieur. Intrigué, il plissa les yeux. Tout ceci suscitait bien des interrogations chez le chevalier qui s'interrogeait sur les raisons de tout ceci. Or, à son approche, tout le monde se retourna et se figea. À la vue du rouquin suivi de la jeune fille, un silence de plomb s'abattit dans le vaste hall. Le souverain, réprobateur, s'approcha la tête haute et digne de son soldat. Otshi s'empressa de s'agenouiller et inclina le visage. Ce ne fut qu'à cet instant, qu'il nota avec inquiétude qu'Eien ne l'imitait point et se dressait sur un pied d'égalité face au monarque.
D'un battement de cils, le chevalier qu'il était se vit assaillir par l'angoisse la plus intense. Nul doute qu'Okra, malgré sa sagesse légendaire, ne tolérerait point ce manque total de protocole.
Il glissa un coup d'œil inquiet vers la jeune fille dont il prit conscience ne point connaître le nom. Ce ne fut qu'à ce moment qu'il entendit la voix sentencieuse de son roi rompre le silence oppressant. Glacé jusqu'aux sangs en réalisant qu'il s'adressait à sa personne, il redressa vivement la tête.
Pourquoi était-ce lui que l'on sermonnait ? qu'avait-il donc fait de mal pour se voir ainsi houspiller par le monarque qu'il servait ? Il mettait pourtant un point d'honneur à ne jamais le décevoir. Alors, où avait-il bien pu fauter ?
Question qui ne tarda point à trouver sa réponse lorsque l'identité de l'inconnue à ses côtés fut révélée. Estomaqué, le souffle court, il regarda franchement l'héritière du royaume des cieux. Une princesse... Quel idiot il faisait !! Pourquoi ne réfléchissait-il donc jamais ?! C'était pourtant une chose des plus logiques. Il suffisait de la voir pour comprendre qu'elle n'était pas une simple servante. Rien que son port altier, sa gestuelle ainsi que son élocution témoignaient de son rang. Et s'il en fallait davantage, et qu'il avait préféré omettre intentionnellement, trop heureux de jouir de quelques instants en compagnie de cette ravissante demoiselle : sa tenue. Sa robe blanche était fabriquée dans la soie la plus délicate et la plus luxueuse et elle portait autour du cou, un collier d'or fin, rien qu'une domestique ne puisse s'offrir.
"Qu'est-ce qui t'est passé par la tête ? Une princesse !! Tu seras sanctionné comme il se doit pour ta conduite. Sans compter que tu as fait défaut à l'accueil de mes invités.
– Roi Okra, cessez, je vous prie. Le chevalier Otshi n'a rien à se reprocher, bien au contraire. Il m'a offert une visite de votre magnifique royaume par les cieux. Je lui en suis reconnaissante. Et s'il ignorait mon identité, j'en suis seule fautive pour ne point l'avoir déclinée. Je vous serai humblement obligée de ne pas le punir."
Le souverain plissa les yeux, ses prunelles allèrent de la princesse au soldat. Il hésitait encore sur la suite à donner à l'affaire lorsqu'une voix reconnaissable entre toutes s'éleva du haut des marches.
Dans un même ensemble, tout le monde leva le regard pour voir, une femme d'un certain âge, tête haute et vêtue d'un kimono des plus fastueux dans les tons verts et jaunes. D'un seul coup d'œil, elle balaya le hall avant d'entamer sa descente.
Hayato rejoignit sa promise et l'enlaça d'une main possessive à la taille. Il gratifia d'une œillade furibonde Otshi qui l'ignora, indifférent. L'attention se porta sur la nouvelle venue. Il ne fallut guère longtemps à Eien et son fiancé pour découvrir qu'il s'agissait de la reine. D'un pas leste et mesuré, elle mangea la distance les séparant et réalisa de quoi il retourna avant de pouffer, ses dactyles devant ses lèvres.
"Que c'est beau la jeunesse, mon cher époux ! Prenez-en de la graine et emmenez-moi flirter avec les nuages et les oisillons la prochaine fois.
– Mais, ma reine... La princesse est...
– Fiancée ?! Je ne suis point sénile. J'ai connaissance de ce fait moi-même. Son union aura lieu dans quelques jours au palais et sous votre office. Je dis seulement qu'ils sont jeunes et qu'il est bon de lâcher du leste de temps à autre. Et une promenade n'est en rien une infidélité."
Bienveillante, elle se tourna vers Otshi et lui sourit avec bonhomie. Puis, elle le remercia pour ses services avant de le congédier. Sans attendre, le dragon rouge s'inclina avec respect devant sa reine tandis que des mots de remerciements passaient la barrière de ses lèvres. Ce ne fut que lorsqu'il se redressa qu'il croisa les prunelles mordorées d'Hayato. Le mépris qu'il lui témoignait était palpable. Sans s'offusquer de la chose, il arqua un sourcil narquois avant de courber la tête face à Eien et de prendre sa main entre la sienne pour y déposer un baiser.
Ce geste, Otshi ne le prévoyait point. Mais, le dédain que lui portait le fiancé de la jeune fille l'énervait tant et si bien qu'il éprouva le besoin de le provoquer. Ce n'était rien de compromettant, et pourtant... cela eut l'effet escompté.
La tension du hall monta d'un cran. Hayato enrageait totalement. Comment cet olibrius osait-il se comporter ainsi ? Toucher une déesse ? La promise d'un autre ?! De plus, à la manière qu'il avait eue de le regarder juste avant, il ne faisait aucun doute qu'il avait agi uniquement par goût de la provocation.

À la table des domestiques, la conduite éhontée d'Otshi occupait toutes les bouches. Silencieux, mangeant son repas sans émettre le moindre commentaire, le chevalier ressassait ces quelques heures passées en compagnie de la jeune fille. À l'heure actuelle, il ignorait encore pour quelles raisons, elle n'avait pas divulgué son identité. Était-ce pour se moquer de lui ?
Mais, il devait bien admettre que s'il avait eu connaissance de son nom et de son rang tout aurait été différent. Il ne se serait jamais permis d'être aussi ouvert avec elle. Mais regrettait-il ? Voilà la question qui revenait souvent sur le tapis. Avec un soupir, il se laissa aller contre le dossier de sa chaise, croisa les bras sur le torse et médita quelques secondes. Et il fallait bien l'avouer, il ne culpabilisait en rien. Non ! Il avait passé un moment agréable avec une adolescente, ce qu'il ne manqua pas de confier avec aplomb.
"Attention, Otshi, elle est fiancée et se marie sous peu. Tu ne comptes pas voler le cœur de la belle au pied de l'autel sacré ? Cela risquerait de causer un conflit sans précédent. Notre bon roi ne s'en remettrait pas et ne pourrait pas te le pardonner.
Réfutant les intentions qu'on lui prêtait, le jeune homme arqua qu'il n'avait que faire d'une princesse. Il préférait les filles plus... voluptueuses, moins prudes et d'un rang moins important. Et comme pour mieux attester de ses dires, il attrapa Mindy, passant à proximité. D'une poigne ferme, il l'attira sur ses genoux, avant de lui chuchoter des mots à l'oreille. Sans attendre, un sourire enjôleur aux lèvres, elle s'installa à califourchon sur ses cuisses, alors que ses mains se perdaient dans ses cheveux qu'elle tira en arrière. Puis, sans crainte de s'exposer aux regards des spectateurs, elle embrassa goulûment son partenaire.
- Y a des chambres pour ça ! ricanèrent quelques-uns tout en s'amusant de la scène.
– Ouais, vous avez raison."
Sans attendre, Otshi renversa la situation et soulevant tel un fétu de paille la jeune femme, il la jeta sur son épaule et vida les lieux en saluant ses compagnons et amis. Quant à Mindy, même si l'idée de protester se fit présente dans son esprit, elle n'en fit rien. Après tout, tout le monde s'arrachait les faveurs d'Otshi dans le palais et même dans le peuple. Ce pauvre garçon, au grand damne d'Ygra — son père — jouait de ses talents de séducteurs aussi souvent qu'il le souhaitait. L'amour ?! Oh ! Il y croyait fortement, mais ne l'avait encore jamais rencontré. Pourtant, il espérait, aspirait aussi à dénicher la perle rare, celle lui donnant envie, un jour, de fonder un foyer.

La nuit était bien avancée, et la petite aiguille pointait sur le I de l'horloge lorsque se réveillant, Otshi se redressa dans son lit. Il exhala un long soupir et attrapa le pichet d'eau sur la table de chevet pour se servir un verre qu'il vida d'une traite. D'une main lasse, il se frotta les yeux avant de regarder la place à côté de lui. La tête dans l'oreiller, une auréole blonde se répandant autour du crâne et jusque sur son dos, Mindy dormait à poings fermés.
Sans un mot ni un bruit, il se leva. Nu comme un ver, il marcha jusqu'à la fenêtre et jeta un coup d'œil à l'extérieur. Les ténèbres régnaient en maître et se disputaient le titre avec le silence. Ce dernier était rompu par les pas des soldats faisant leur ronde. Portant le regard vers les trois lunes, dont une n'était qu'un quart-de-cercle, il soupira. Un rêve l'avait tiré de son sommeil et il peinait à se rendormir. Troublé il l'était, mais hors de question de l'avouer ou même de l'énoncer à haute voix. Honte ?! Non, il ne s'agissait guère de cela.
Il commençait à se détourner lorsque quelque chose capta son attention. Aussitôt, les yeux plissés, il fouilla les méandres du néant. Le visage collé à la vitre, il parvint après plusieurs minutes à déceler deux silhouettes affublées d'une aube noire dont la capuche masquait leur faciès. Cela n'augurait rien de bon ! De cela, le chevalier en était persuadé. Quelque chose de grave et important se tramait dans l'ombre. Mais l'identité de la personne que ces deux hommes ciblaient demeurait un mystère. Cela pouvait être aussi bien son roi que celui des cieux. Après tout, le moment était propice pour un attentat contre l'un des deux monarques, voire même les deux. Il ne pouvait donc point agir aveuglément et sans preuve au risque de compromettre la paix entre les deux royaumes. Il ne fournirait point une raison supplémentaire à son souverain de lui faire des reproches.
Sans attendre, il attrapa son pantalon qu'il enfila à toute hâte avant de quitter sa chambre au pas de course. Bondir par la fenêtre aurait attiré l'attention sur sa personne. Or, il préférait les espionner, récolter un maximum d'informations et surtout découvrir ce qu'ils manigançaient.
Malheureusement, et cela en dépit d'une course effrénée, il arriva trop tard. Les deux énergumènes avaient disparu sans laisser de traces. Claquant de la langue sur le palais, agacé, Otshi examina les alentours aussi discrètement que possible avant de revenir sur le lieu de rencontre. Mais, malgré son enquête, il ne trouva rien, pas un indice sur l'identité des deux personnes ni sur ce qu'ils tramaient.
Autant dire qu'après cet évènement, Otshi se révéla bien plus méfiant et suspicieux. Il observait avec attention tout ce qu'il se passait autour de lui, cherchant à déceler un détail étrange.
D'un point de vue extérieur, tout allait pour le mieux. Les préparatifs pour le mariage de la déesse progressaient normalement ainsi que les diverses réunions entre Okra, Shibuya et Hayato.
Accaparé par ses responsabilités de chevalier, Otshi enquêtait, fouinait sur son temps libre. Du moins, jusqu'à ce qu'un jour, alors que le roi tenait l'une de ses conférences, il tomba nez à nez avec Eien. Surpris, aussi bien l'un que l'autre, ils se dévisagèrent quelques secondes sans parler jusqu'à ce que le dragon à la crinière ardente n'incline la tête, en un salut protocolaire.
Chagrinée par la distance que ce seul geste engendrait, Eien le dépassa sans un mot. Et dire que c'était justement ce qu'elle voulait éviter.
"Pourquoi ?", s'enquit abruptement Otshi ne parvenant pas à laisser les choses prendre pareil tournure.
Au son de la voix masculine, la princesse des cieux s'immobilisa et lui adressa un coup d'œil par-dessus son épaule. Immobile, les bras le long du corps, Otshi la fixait et guettait une réponse.
Dans un soupir résigné, elle pivota vers lui, les mains dans le dos et lui confia avec sincérité la situation. À ses yeux, le temps qu'ils avaient passé ensemble était bien plus précieux que tout le reste. Pour une fois dans son existence, depuis sa naissance, elle avait été traitée pour la personne qu'elle était et non le titre. Aux yeux d'Otshi, pendant quelques minutes, elle avait juste été une jeune fille comme les autres, et pas une princesse que l'on choyait par crainte de vexer.
Ces quelques mots ravirent le cœur du chevalier qui se fendit d'un large sourire. Certes, elle méritait le respect dû à son rang, mais de là à l'enfermer dans une cage dorée, il en était une autre. Eien voulait vivre pleinement et lui, se donna pour le temps lui restant de liberté, de l'y aider. Sans attendre, il mangea la distance le séparant de la brune, lui saisit la main et la tira à sa suite.
À compter de ce jour, Otshi et Eien se retrouvèrent à maintes reprises pour des excursions au travers du palais, ou même du village. Ils riaient de tout et de rien, partageaient des moments que la déesse — elle le savait — chériraient jusqu'à sa mort.
Avec Otshi, elles découvraient des émotions nouvelles, des frémissements de son être tout entier dont elle ignorait jusqu'à présent l'existence. Des sensations qui l'avaient effrayée au début, mais qui la ravissaient maintenant et qu'elle désirait éprouver encore longtemps. D'ailleurs, elle affectionnait la manière dont son cœur s'emballait dans sa poitrine lorsqu'Otshi la touchait, la frôlait. Elle aimait le timbre de sa voix, son rire, la façon qu'il avait de la regarder.
Déambulant, habillée d'un kimono emprunté à l'une des domestiques du palais, Eien marchait aux côtés d'Otshi au travers des rues de Darconia. Il s'amusait devant les expressions sidérées, émerveillées, de la princesse. S'arrêtant sur ses pas, il se contenta de la suivre du regard. Ce ne fut qu'à cet instant qu'il réalisa un détail qu'il refusait d'admettre : il appréciait un peu trop le temps qu'ils passaient ensemble. Chose qui le perturba fortement. En effet, cet attachement profond pour l'héritière des cieux prendrait fin à l'instant même où son fiancé glisserait une alliance à son doigt. Atterré, son sourire fondit comme neige au soleil. Il ne la reverrait plus... Eien, ces moments qu'il vivait avec elle disparaîtraient autant qu'elle dès lors qu'Okra l'aura mariée. Adieu... voilà ce qui l'attendait sous peu. Or, il se devait bien de se l'avouer, de se montrer un tant soit peu honnête, l'idée de lui dire adieu le rebutait farouchement. Dans un geste de pure frustration, il serra les poings si forts que ses jointures en blanchirent. Furieux contre lui-même, contre son destin, Otshi en vint à maudire l'avenir qui ne tarderait plus à lui arracher son amie. Amie ?! Il buta sur le mot avant de réaliser que pour lui, à ses yeux, dans son esprit comme dans son cœur, Eien représentait bien plus.
À quel moment tout ceci avait-il basculé ? Quand est-ce que la déesse, naïve et ignorante de tout, avait elle pris autant d'importance ? Il ne saurait guère le dire, mais une chose demeurait certaine : l'héritière du trône de Célestia s'était frayé un chemin jusqu'à son cœur.
Atterré de constater la situation, il porta son regard sur la fine silhouette qui comme un fait exprès pivotait justement dans sa direction. Un sourire radieux, les yeux pétillants, elle accrocha ses prunelles. Sans perdre une seconde, il la rejoignit en quelques enjambées pour découvrir ce qu'elle avait entre les mains : un hellébore.
Une expression polie et amicale collée au visage, il remercia le fleuriste ayant exclusivement tenté de faire plaisir à la jeune fille, ce qui était une réussite, il fallait bien l'avouer. Sans attendre, Otshi se saisit de la fleur rouge qu'il glissa dans les cheveux de la princesse avant de se reculer et d'admirer le résultat.
"Magnifique...
– En effet, chevalier, vous avez très bon goût, souligna le vendeur d'un sourire carnassier.
Ce fut au commentaire du marchand qu'Otshi constata avoir parlé à haute voix. D'un signe de tête, il salua le vieil homme et prit congé de ce dernier avant de réaliser qu'Eien ne se trouvait déjà point à ses côtés. Paniqué à la perspective de l'avoir perdue, il fouilla la rue du regard. Nulle part ! Aucune trace de la princesse. Son petit cœur s'emballa instantanément dans sa poitrine. Il battait si fort, si vite qu'Otshi crut qu'il allait jaillir de sa cage thoracique. Et se laissant porter par son inquiétude grandissante, ses pas lents se muèrent en une course effrénée jusqu'à ce qu'une chevelure d'ébène retienne son attention. Se figeant immédiatement, les bras le long du corps et peinant à reprendre son souffle, le chevalier fixait la personne devant lui. Elle lui donnait le dos, regardait de droite et de gauche telle une enfant perdue, mais il la reconnaîtrait n'importe où. Il n'y avait qu'elle pour dégager cette aura de bienveillance autour de son être.
– Eien !
Ce fut un cri du cœur. Un simple mot qui amena l'intéressée à se retourner. Leurs regards s'accrochèrent une fois de plus. Mais cette fois, les digues retenant le flot de ses émotions bien trop longtemps refoulées se fissurèrent avant de céder complètement. Emporté, submergé même, Otshi se jeta sur la déesse et la pressa avec force contre lui. Il la broyait littéralement entre ses bras, alors qu'il fourrait son nez dans son cou.
Jamais ! Oh non jamais jusqu'alors, il n'avait éprouvé pareil sentiment. Cet embrasement des sens, cette sensation désagréable qu'on lui arrachait le cœur. C'était inédit. Il était amoureux !
– O... Otshi ?! balbutia la jeune fille dont la difficulté à respirer était palpable.
Réalisant son geste, il desserra sa prise, mais refusa de la libérer de son étreinte. Frottant son nez contre sa peau, il en huma le délicat parfum afin de le graver dans son esprit.
– S'il te plaît, Eien. Laisse-moi te garder encore un peu contre moi.
Les bras ballants, Eien opina du chef, accédant à la requête de son nouvel ami. Mais très vite, mue par une volonté propre, elle referma ses bras sur le dos du soldat qui tressaillit légèrement. Ce fut comme si on le marquait au fer rouge. Bordel ! s'admonesta-t-il intérieurement. Qu'est-ce qui lui prenait ?! Eien était une déesse ! la fiancée du futur roi des cieux ! Agir de la sorte risquait fort d'attirer des ennuis au souverain qu'il servait. Sans attendre, il s'écarta de la jeune fille alors que des paroles d'excuses franchissaient ses lèvres.
– Rentrons."
Son expression avait changé et Eien le remarqua sans mal. Cependant, elle préféra se taire, consciente que quelque chose le perturbait. Quelque chose dont il ne souhaitait point s'entretenir avec elle de toute évidence. Chagrinée, elle s'efforça à afficher un visage souriant afin de ne pas susciter plus d'inquiétude de sa part. Et elle parvint ce tour de force !

Après cet épisode, les deux amis ne se croisèrent plus. Otshi fuyait la femme dont il s'était épris. Toutefois, il ne manquait point de l'observer de loin, de veiller sur elle à sa manière. Il l'aimait, mais elle lui demeurait inaccessible...
Assis sur la branche d'un arbre, le dos appuyé contre le tronc et caché par le feuillage touffu, il croquait dans une pomme alors que les yeux ne quittaient pas la fenêtre de la future mariée. Il espérait ainsi pouvoir l'apercevoir, ne serait-ce qu'un instant.
Et cette chance se présenta...
Eien s'ennuyait à mourir, une fois de plus, une fois de trop. Hayato l'abandonnait encore pour participer à l'une des réunions avec le roi Okra. Seule, livrée à elle-même, Otshi ne venant même plus la voir, elle déprimait.
À vrai dire, elle ne comprenait pas du tout le comportement du chevalier. Il l'avait serrée dans ses bras, et elle lui avait rendu son geste, alors pourquoi ne fuyait-il sa compagnie ? Avait-elle mal agi ? L'esprit empli de questions et de doutes, la princesse avait, à maintes reprises, tenté de s'entretenir avec lui. Hélas, l'occasion ne s'était jamais présentée.
Avec un soupir las, elle rejoignit la porte vitrée donnant sur la terrasse et l'ouvrit. D'un pas lent, elle sortit à l'air libre. Elle s'approcha de la rambarde de pierre qu'elle recouvrit de ses deux mains avant de lever le regard vers le ciel.
Otshi... le seul souvenir de ce chevalier faisait frémir son cœur. Pourquoi battait-il aussi fort dès qu'elle songeait à lui ? Pourquoi son absence la plongeait-elle dans un abîme sans fond ? Rien que la perspective de ne plus le voir, ne plus lui parler, la dévastait. Elle avait mal dans la poitrine, ses yeux la brûlaient. Pourquoi ?! Qu'est-ce qui lui arrivait ? était-elle malade ? En tout cas, sa souffrance était telle qu'elle se crut à l'article de la mort. Et sans que rien ne le laisse présager — enfin si un tout petit peu tout de même —, de petites perles salées glissèrent sur ses joues, creusant des sillons sur sa peau. Interloquée, prise de court, elle porta sa main à ses dernières pour en cueillir une. Elle pleurait ?! Elle n'avait pas versé une seule larme depuis le décès de sa mère.
Silencieux, Otshi fronça les sourcils. Eien pleurait ?! Pourquoi ? Que se passait-il pour qu'elle soit malheureuse à l'aube de son mariage ? Inquiet, il se redressa vivement et broya entre ses doigts le fruit à demi savouré.
« Il me manque », se répétait une énième fois la princesse tout en se détournant du paysage s'étendant à perte de vue. Ce fut à cet instant précis que surgissant de nulle part, deux formes sombres bondirent sur la terrasse. La déesse recula d'un pas, puis d'un second avant de voir sa porte de sortie bloquée par l'un de ses assaillants. Fronçant les sourcils, elle chercha à les identifier. Toutefois, faisant apparaître un fouet de flammes noires, les deux agresseurs frappèrent le carrelage à ses pieds, et portèrent aussitôt un nouveau coup. Or cette fois, il ne fut pas dirigé contre le sol, mais contre Eien en personne.
Dans un geste protecteur, la princesse leva les bras pour se protéger du coup. Acte inutile puisque l'attaque n'atteignit jamais sa cible. En effet, contre toute attente et à la stupeur générale, le chevalier Otshi s'interposa. Bloquant à main nue le fouet de l'un, il transperça de sa lame, le second, lui dérobant la vie.
Surprise de le voir en cet instant, une vague de gratitude emplit le cœur de la jeune fille que le dragon de feu gardait derrière lui. Son ennemi tirait sur son arme, tentant de la dégager, en vain.
Coulant un regard vers le mort, Otshi ramena son attention sur celui en face de lui. Il fallait le capturer vivant afin de le questionner et découvrir les raisons de tout ceci. Mais aussi et surtout qui les envoyait ? Car oui, il en était certain ! Ces créatures sorties tout droit des enfers n'étaient que des sous-fifres. Quelqu'un les employait pour faire les sales besognes, mais qui ?
"Restez derrière moi, altesse. J'ignore s'il y en a d'autres.
D'un geste sec, il tira sur le fouet, déséquilibrant de ce fait son ennemi qui lâcha instantanément son arme avant de disparaître comme il était apparu. Agacé de perdre ainsi une source d'informations, Otshi grogna puis pivota vers la princesse. Mais, même s'il était préparé à beaucoup de choses, il ne l'était point face au visage dévasté d'Eien. En pleurs, elle tremblait de tous ses membres. Avec une douceur infinie dont il ne se savait guère capable, il recouvrit la joue de la déesse de ses doigts. Il balaya du pouce les larmes s'y trouvant encore, alors que de sa main ayant laissé tomber l'instrument constitué d'une corde de chanvre, il la rapprochait de lui.
Eien n'opposa aucune résistance et s'abandonna sans mal au réconfort des bras masculins. Elle profita, d'ailleurs, de l'avantage lui étant offert, pour se blottir contre lui. Soulagée, elle abaissa les paupières et écouta les battements effrénés du cœur d'Otshi contre son oreille. Ce fut avec surprise, qu'elle découvrit qu'il battait à l'unisson du sien.
- Toi aussi tu es malade ? fit-elle dans un souffle.
– Malade ? répéta le chevalier sans comprendre de quoi parlait la jeune fille.
– Ton cœur bat trop vite, tout comme le mien...
Estomaqué, le soldat demeura silencieux alors que prenant son mutisme pour une confirmation, elle enchaînait avec naïveté et innocence.
– Est-ce que comme moi, tu as mal dans la poitrine lorsqu'on ne se voit pas ? Tu es triste également ? C'est comme ça pour toi aussi ?"
Doucement, elle leva le visage vers Otshi dont l'expression la troubla. Le dragon peinait à croire ce qu'il entendait. Eien venait en quelques phrases de résumer ce qu'il ressentait. Son innocence effarante le sidéra tant et si bien qu'il ne sut comment l'interpréter. Le testait-elle ? Se jouait-elle de lui ? Non ! Cela ne lui ressemblait point. Alors pourquoi paraissait-elle si ignorante des choses de l'amour ? N'était-elle pas amoureuse de son fiancé ? Bien sûr que non, se corrigea-t-il mentalement, sinon, elle ne lui tiendrait point ce genre de discours.
Au grand désarroi de la déesse des cieux, Otshi la libéra de son étreinte, mais la garda captive de son regard azuré. Avec tendresse, il cueillit son visage au creux de ses paumes alors qu'il lui confiait avec sincérité que ce qu'elle dépeignait se nommait amour.
Le désespoir fut la seule chose qu'elle afficha pendant plusieurs minutes au grand dam d'Otshi qui se demanda comment l'interpréter. De toute évidence, elle partageait ses sentiments, alors pourquoi paraissait-elle si... triste subitement...
Se soustrayant aux doigts masculins, Eien recula de quelques pas. Elle secoua la tête avec force comme pour rejeter cette éventualité avant de clamer haut et fort ce que lui, Otshi, ignorait.
"Les dieux n'aiment pas, Otshi. Nous ne possédons aucune émotion de ce type.
– Ne dis pas de bêtises. Toutes les créatures de l'univers connaissent l'amour.
– Pas pour nous autres. Il y a bien longtemps, une guerre divine eut lieu. Elle a manqué de causer l'extinction de notre peuple, et tout cela à cause de ce genre de sentiments. Le roi de l'époque a donc fait en sorte que ce que tu nommes amour, jugé inutile, soit scellé.
– Tu... veux dire... que... tu vas épouser un homme pour qui tu ne ressens rien ? Tu vas... le laisser te toucher... te...
– Eh bien, c'est ainsi que toutes les races procréent. Je lui donnerai les descendants qu'il attend de moi."
Le choc fut complet... Comment une telle chose était-elle possible ? Pourtant, s'il tenait compte de ses dires, elle n'était pas aussi insensible qu'elle le prétendait. Elle se voilait la face ! Même si les dieux vivaient sans ressentir la moindre émotion, Eien était différente. Elle l'aimait ! La magie aussi puissante soit elle ne pouvait annihiler la force de ce sentiment.
Le cœur tourmenté, la colère le rongeant, Otshi mangea la distance les séparant. Sans un mot, il prit son visage entre ses mains et écrasa sa bouche de la sienne. Farouche, il goûta ces lèvres fines et délicates, les mordit rudement jusqu'à ce qu'elles s'écartent. Sans hésiter, ne guettant que cet instant, il approfondit son baiser. Sa langue avide se glissa dans la cavité buccale de sa partenaire, alla à la rencontre de sa jumelle bien plus réservée. Or, refusant de lui laisser le temps de réfléchir, il la provoqua, encore et encore, mêla leur souffle pour n'en faire qu'un.
Son cœur souffrait. Il saignait cruellement tandis qu'il partageait un moment unique et inespéré avec la femme qu'il aimait. Il savait au fond de lui que ce qu'il faisait était inapproprié, qu'il devrait la lâcher et demander pardon à genoux. Pourtant, il n'en fit rien. Pire, il continua, jusqu'à ce que manquant d'air, il ne soit contraint d'abandonner la bouche divine. Le souffle court, un filet de salive les liant encore, il posa son front contre celui de la déesse alors qu'il murmurait :
"Je t'aime, Eien..."
À peine formula-t-il ces mots qu'il se retrouva projeté à terre. Une douleur horrible lui vrilla la mâchoire alors qu'il heurtait le sol. Battant des paupières, il comprit sans mal ce qu'il venait de se produire en avisant d'Hayato devant Eien. Le fiancé bafoué venait de lui décocher un coup de poing magistral. L'envie de rire le tenailla lorsque Shibuya fit son apparition, ordonnant aux gardes dans son dos de le mettre aux arrêts. Ce qu'ils firent sans tarder, et cela malgré les vaines protestations de la jeune fille.
Autant dire que le roi Okra se confondit en excuses pour le comportement outrancier de son chevalier. Néanmoins, il refusa d'exécuter Otshi comme l'exigeait le souverain des cieux, si bien qu'un compromis fut trouvé. Le soldat allait être destitué de son rang et de ses titres avant d'être banni de Darconia.
Ce fut cette nouvelle qui mena Okra devant la geôle d'Otshi, allongé sur le matelas de paille. Il écouta la sentence sans ciller, et ne protesta point. Toutefois, lorsque son seigneur se détourna, le dragon de feu l'interpella avant de confier :
"Majesté ! Ma punition est trop bonne. J'ai manqué de ruiner vos efforts et je vous remercie de votre indulgence. J'ai conscience que votre décision n'est pas celle que vous vouliez, mais celle vous étant dictée par la contrainte d'un royaume paisible. Mais, Majesté, je vous le demande à genoux, protéger la princesse Eien. Elle a été attaquée sur la terrasse. Il se trame quelque chose. Ils viennent des Enfers. Même si ce n'est rien, mon roi, il vaut mieux être avisé et prudent que négligent. Non ?
Plissant les yeux, le monarque scruta le visage du jeune homme en face de lui. À dire vrai, de son point de vue, Otshi n'était coupable que d'un seul forfait : s'être épris de la mauvaise personne.
En effet, depuis que ce dragon œuvrait pour la couronne, on ne dénombrait que de bonnes actions. Certes, toutes ne furent point conclues par le succès, mais ses intentions demeuraient louables.
– Tu es un excellent chevalier, Otshi. Me séparer de toi me coûte énormément. Je suivrai tes recommandations, et me fierai à ton jugement. Prends cela comme gage de ma reconnaissance pour tes loyaux services."
Tombant à genoux sur la terre de sa cellule, Otshi face contre terre, son front dans la poussière, il remercia son souverain. Il demeura ainsi jusqu'à ce qu'il fut certain d'être de nouveau seul.
Seul... Oui, il l'était. Et alors que son cœur se mourait d'amour pour Eien, une fille aussi attachante qu'intouchable, le cœur lourd, il se rallongea dans la paille. Yeux clos, il laissa les souvenirs des moments passés aux côtés de la princesse Eien l'assaillir tandis qu'un sourire attendri étirait ses lèvres. Au final, malgré tout ce que ses actes lui coûtaient, il ne regrettait rien.

Les jours filèrent tels les grains de sable du sablier du temps. Enfermé dans sa cellule, Otshi ne put qu'entendre le son joyeux des clairons annonçant le début de la cérémonie de mariage. Dans quelques minutes, une heure tout au plus, Eien verrait son destin lié à celui d'un individu ne lui témoignant rien de plus qu'une froide indifférence. Hayato ne l'aimait pas. Lui si ! Mais que pouvait-il faire ? Se rebeller ? Faire valoir ses droits d'amoureux transis face à un peuple rejetant cette émotion ? Ce serait du suicide... Il le savait, en avait conscience. Alors quoi ? Allait-il se terrer dans sa cage, derrière ses barreaux et attendre qu'on lui arrache Eien ? Qu'un anneau l'éloigne à jamais de lui ?
Se redressant sur son postérieur, il porta son regard sur les barres de métal et soupira. Que pouvait-il faire de toute manière ? Enfermé dans les donjons, il ne pouvait point en sortir. Cela suffisait à réduire ses chances de retrouver Eien à néant.
Le cœur lourd, il abaissa la tête et joignit les mains devant son visage tandis que ses coudes s'enfonçaient dans ses cuisses. Eien... Bientôt, le roi Okra la lierait à jamais à Hayato. Aussitôt après, le couple s'envolerait vers le paradis où ils choisiront leur destination pour une lune de miel. Enfin... si cette tradition existait à Célestia.
Une douleur sentencieuse lui vrillait le thorax tant et si bien qu'il peinait à respirer. Ses yeux le brûlaient, mais les larmes refusaient de couler. Vivement, il bondit sur ses pieds, se jeta sur les barreaux qu'il empoigna de ses deux mains et secoua de toutes ses forces. Hélas, elles ne cédèrent pas. Se déchaînant, il usa de ses capacités de dragon, crachant des flammes, des orbes de feu, rien n'y fit. La magie dont elles étaient pourvues les préservait de ce type d'assaut. Essoufflé, épuisé à force de vaines tentatives, Otshi agrippa, une fois de plus, les tiges de fer. Toutefois, cette fois, il se contenta de poser sa tête contre le métal froid. Glissant sur le sol, il tomba à genoux, alors que des larmes d'un désespoir infini cascadaient sur ses joues.
Non ! Il ne voulait pas renoncer à Eien ! Il venait à peine de comprendre qu'il l'aimait ! Qu'elle l'aimait ! Et il devait déjà la quitter ?! Pourquoi ?! Pourquoi le destin était-il si cruel ?!

Le Phénoxial était vaste et immense. Des fleurs de couleurs multiples décoraient l'allée principale tapissée de pétales. Le parfum délicat de ses dernières emplissait l'air, titillant les narines des personnes présentes.
Des guirlandes tressées de roses, de lys, d'orchidées et de rubans dans les tons pastel avaient été suspendues entre chaque colonne de marbre et autour de la statue gigantesque du phénix, dont les ailes largement ouvertes soutenaient le dôme de verre au-dessus de leur tête.
C'était magnifique, songea Eien tandis qu'accompagnée de son père, elle remontait l'allée. La jeune fille arborait une robe de taffetas blanc, brodée d'or, d'argent et de pierres précieuses. Entre ses mains moites, tremblant légèrement, se trouvait un bouquet de composition luxueuse. Ses longs cheveux d'ébène avaient été noués en un chignon souple que deux peignes dorés retenaient de leurs griffes. Mais, il y avait aussi, une petite couronne, signe indéniable de son rang.
Au fur et à mesure qu'elle progressait vers l'autel, vers son fiancé, son cœur geignit. Il émit une plainte douloureuse si bien qu'elle se figea. Alerté, Shibuya s'immobilisa à son tour et la dévisagea quelques instants avant de l'inviter à poursuivre sa progression. Soupirant, elle abaissa les paupières et reprit son chemin.
Hayato... Ils se connaissaient depuis si longtemps. Amis de longue date, ils se fréquentaient depuis leur plus jeune âge. Tant et si bien que leur union ne faisait aucun doute pour personne. Enveloppant le Dieu de ses prunelles émeraude, Eien ravala ses incertitudes, les faisant taire.
Debout et immobiles devant le roi Okra, Hayato suivait, un sourire de façade au visage, la marche nuptiale de la princesse. Satisfait, il l'était. Cela faisait des années qu'il guettait ce moment. Enfin... enfin, il atteignait son but. Il arborait une tenue des plus inhabituelles : une sorte d'uniforme composé d'un pantalon blanc ainsi que d'une chemise et d'une longue veste de la même couleur. Et alors qu'Eien s'immobilisait à côté de lui, que Shibuya lui confiait sa fille unique, il déposa un baiser sur le coin de ses lèvres.
Crispée, Eien se força à sourire tandis qu'une main se posait sur le bas de son dos. Ce contact, anodin, lui retournait l'estomac. Il n'y avait rien de comparable entre cette marque d'affection et celle d'Otshi. Totalement aux antipodes même...
Et tandis qu'Okra, digne et fier souverain de Darconia entama la cérémonie selon les rites de Célestia, royaume divin, les futurs époux lui prêtaient une oreille solennelle. Usant d'un sortilège, il fit apparaître sur un coussin de plumes pures et duveteuses un ruban de nacre blanc dans lequel deux anneaux dorés avaient été glissés.
Cueillant les alliances entre ses mains vieillies par le temps, il les plongea cérémonieusement dans le liquide étrange coulant de la bouche du phénix. Il les retira à peine quelques secondes plus tard. Ce fut à ce moment précis que tout bascula. Comme un fait exprès, comme si les ennemis n'attendaient que cet instant pour surgir des entrailles de la Terre, ils jaillirent de tous les coins sombres du Phénoxial.
Sans perdre une seconde, tels des vautours affamés et voraces, ils se jetèrent sur le couple. Déterminé, Hayato usa de ses capacités divines pour faire apparaître une lame forgée dans un matériau connu des peuples célestes. Les chevaliers d'or du roi Okra se ruèrent à leur tour dans l'enceinte du bâtiment. Une seule pensée, un seul objectif en tête, ils se lancèrent dans la mêlée. Le bruit du métal s'entrechoquant, des cris de douleurs et des rugissements retentissaient de part et d'autre de l'édifice. Hayato s'interposait entre sa fiancée et ses démons lorsque Shibuya, malgré le poids des années le handicapant, les rejoignit.
"Prends Eien avec toi, Hayato et partez d'ici ! ordonna le roi du paradis.
Interloqué, le futur souverain ramena ses prunelles dorées sur le vieil homme avant de hocher affirmativement la tête. Sans attendre, Hayato s'approcha du monarque.
– Majesté... Échappez-vous avec nous, je vous en conjure. Il semble évident que ces monstres en ont uniquement après nous.
– Non. Je ne peux fuir et laisser Darconia livrée à ces choses.
– Cela vous ressemble bien, Majesté", souffla Hayato.
Oh oui ! Shibuya restait fidèle à lui-même malgré les années. Il détestait devoir quelque chose à quelqu'un. Il aimait mieux avoir des débiteurs que l'être lui-même. Exhalant un long soupir, il s'apprêtait à reprendre la parole lorsque tout à coup, Shibuya le poussa vivement sur le côté et bloqua les griffes acérées du démon.
Tombant à terre, Eien cria le nom de son fiancé, alors que ce dernier avisait de la scène se jouant sous son nez. Son roi venait de lui sauver la vie. Sans attendre, il ramassa son arme et se releva avant de la brandir afin de terrasser son ennemi.
Le coup fut violent. Les yeux ronds d'effrois, les personnes présentes assistèrent horrifiées au sordide spectacle leur étant imposé. Néanmoins, loin des cris de douleur, des gémissements d'agonie, ce fut le tintement bien distinct du métal froid qui emplit la pièce.
Médusée, battant des paupières, Eien peinait à croire ce qu'elle voyait en cet instant précis. Otshi surgit de nulle part et s'interposa. Sa lame retenait celle d'Hayato qui, contre toute attente, venait d'attenter à la vie de Shibuya.
Repoussant le dragon de feu du pied, lui décochant un coup de pied magistral en plein estomac qui l'envoya saluer le mur derrière lui, il se porta une fois de plus à l'assaut. Son traquenard avait été mis en échec par les agissements de ce crétin stupide.
Raffermissant sa poigne sur la garde de son épée, le fiancé de la princesse se jeta de nouveau à l'attaque. Il visait à chacun de ses coups son souverain qui ayant respecté les termes du traité avait scellé ses capacités comme celles de sa fille. Il avait cru l'avoir fait avec Hayato, mais de toute évidence, ce traître, avait bénéficié d'une aide-externe pour en déjouer le sort. Ils étaient pour ainsi dire à la merci de ce dieu et ne pouvaient plus compter que sur le soutien des dragons.
Grimaçant de douleur, Otshi se redressa. D'un seul regard, il balaya le sol empli de gravats et repéra son sabre. Aussitôt, émettant un rugissement bestial, il s'élança, roula et ramassa son arme avant de s'interposer de nouveau. Sans se tourner vers Shibuya, Otshi lui ordonna de partir.
Les épées s'entrechoquèrent, créaient des étincelles qui retombèrent sur le marbre de part et d'autre des soldats. Alternant coup de lames, de pieds et de poings, les deux hommes révélèrent toutes leurs compétences de guerrier. Tout du moins jusqu'à ce qu'agacé par la résistance et les aptitudes de combattant du rouquin, Hayato forma une sphère au creux de sa paume.
L'orbe brillait dangereusement. Sa puissance était indéniable et au fond de lui, Otshi savait qu'il ne survivrait pas à son impact. Cette chose, une boule d'énergie pure, balaierait tout sur son chemin.
Néanmoins, il se refusait à fuir. Il était un chevalier de Darconia. Un fier dragon ! Il lutterait jusqu'au bout, même si cela devait lui coûter la vie. Il ne périrait point en vain ! Non, il protégerait son roi, son pays, mais aussi celle pour qui son être s'inquiétait. Il ne la laisserait pas à cette ordure ! Il ne la méritait pas !
Et lorsque Hayato décocha sa boule, loin de renoncer, Otshi fit apparaître une épée de flammes. Elles brûlaient ardemment, recouvraient une bonne partie du bras de son porteur. Sans un mot, il se mit en garde, prêt à dévier l'orbe à défaut de la bloquer. Il n'était point idiot. Il savait, avait conscience qu'il ne parviendrait jamais à l'arrêter.
La sphère fondit droit sur sa proie. Le sang gicla, se répandit sur le sol de marbre. Un silence de plomb s'abattit dans le Phénoxial tandis que battant des paupières, Otshi fixait, ahuri la personne venant de le sauver.
Pâle, sa gorge se bloquant, il fut incapable de prononcer le moindre mot, le moindre son. L'effroi se peignit sur bien des visages tandis que le rire mauvais et satisfait d'Hayato s'éleva. Or, très vite, exécutant des gestes de ses doigts, alors que des propos incompréhensibles passaient ses lèvres, un cercle fait d'arabesques étranges se dessina sur dans la pierre sous ses pieds. Rejoint par des mages du palais, le souverain fut aidé et Hayato maîtrisé. Des chaînes dorées jaillirent du sol, enserrèrent le corps du dieu qui se débattait avec force avant de le tirer dans les ténèbres. Criant, vitupérant, Hayato hurlait sa haine aux dragons, mais aussi, et surtout à Shibuya.
Il convoitait son trône depuis tant d'années et il l'aurait obtenu sans mal sans l'intervention inopinée de ce rouquin. De plus, il serait rentré à Célestia en se lamentant, pleurant la mort de son seigneur et sa fiancée, imputant ces méfaits aux sages et vénérables lézards volants. Certes, une guerre sans précédent verrait le jour, mais il s'agissait là du but qu'il suivait.
Dans son esprit, les Dieux étaient des entités supérieures qui ne devaient en aucun cas plier le genou. Régner par la force, soumettre par la terreur les autres espèces voilà ce que devait être les êtres célestes, de son point de vue.
"Je jure que je reviendrai, et me vengerai, Shibuya !!! Okra, ton fief connaîtra une funeste conclusion, j'en fais le serment !"
Des menaces, des promesses qui se gravèrent à jamais dans les souvenirs des deux rois. La prison du néant vers laquelle, il disparaissait, le retiendrait aussi longtemps que le sceau ne perdait point en force.
De son côté, ne prêtant aucune attention à Hayato, Otshi fixait Eien lui faisant face. Son expression douloureuse brisa le cœur du chevalier qui se précipita mains tendues pour la cueillir alors qu'elle basculait en avant.
Tombant à genoux, le corps gracile entre les bras, il appela encore et encore, telle une litanie incessante, le prénom de la princesse. Inerte, le teint perdant de ses couleurs tandis que sa vie la quittait aussi rapidement que le sang abandonnait son réceptacle de chair.
Les larmes aux yeux, il effleura de ses dactyles tremblants la joue délicate d'Eien. À ce toucher volatile, la jeune fille souleva les paupières. Son regard accrocha celui d'Otshi tandis qu'un fin sourire incurvait les lèvres délicates.
"Pourquoi... Eien... ? articula le soldat avec peine.
– Tu vas bien... Tant mieux.
– Idiote !! Je...
Souriant avec douceur, elle recouvrit le visage masculin de ses doigts couverts de sang, y traçant des lignes rouges.
– Je... t'aime... Otshi... On devrait toujours pouvoir aimer..."
À ces mots, les yeux bleus s'emplirent de larmes tandis qu'il pressait le corps de la mourante contre lui. Elle l'aimait ! Eien venait de lui avouer son amour et il allait la perdre, devoir vivre sans elle jusqu'à la fin de ses jours. Comment pourrait-il surmonter cette perte ? Il ne le pouvait pas, ne le voulait pas !!
Et tandis qu'il pleurait, serrant la jeune fille contre lui, Okra s'approcha et recouvrit son épaule d'une main avant de lui tendre de l'autre les deux anneaux. Sans comprendre, Otshi regarda tour à tour les alliances puis Okra. Il fallut finalement que Shibuya prenne la parole pour que le chevalier mesure la teneur de leur souhait. C'était ironique ?! Un coup de poignard en plein cœur. Il devait la perdre pour obtenir le droit d'être avec elle.
"Le phénix allié au pouvoir de Shibuya ainsi que d'Eien peut permettre à vos deux âmes de se rejoindre un jour. Certes, pas aujourd'hui, pas dans cette vie, mais dans quelques années vous vous retrouverez, révéla la souveraine de Darconia, demeuré jusque-là en retrait. Je suis porteuse de sa volonté, et si vous le voulez tous deux, il sera fait en sorte que ce vœu se réalise."
Les larmes coulant sans fin, Otshi, incapable de prononcer un mot, se contenta d'un mouvement affirmatif de la tête. Quant à Eien, dont l'éclat des prunelles s'amenuisait, se faisait vitreux, elle tendit la main vers les anneaux.
Sans plus attendre ni perdre une seconde, l'épouse d'Okra ainsi que Shibuya entamèrent un rituel magique. Le roi des cieux en appela à l'essence de toute chose, capacité dont il était porteur. Pour sa part, usant de la magie ainsi que du pouvoir d'Hotori, l'Oiseau de feu, la reine des dragons envoûta les alliances.
Un mariage funeste se déroula au sein du Phénoxial ce jour-là au milieu des corps et des gravats. Une union qui bouleversa deux nations. Bien longtemps cette affaire demeura dans les esprits et les cœurs des gens.
Tous les darconiens se plaisaient à conter l'histoire de la petite déesse s'étant éprise de l'une se ses créatures mythiques et sages. Elle avait appris à aimer et même si sa mort prématurée fut une blessure dans le cœur de l'être chéri, il était certain qu'ils se reverraient. Le cycle de la réincarnation. Tout le monde y croyait d'une manière ou d'une autre. Devait-on y apporter du crédit et espérer qu'un jour deux âmes sœurs puissent se retrouver au travers du temps ?
Et vous ? Pensez-vous, tout comme ces dragons vertueux et courageux, fiers et impétueux, que l'amour peut traverser les siècles ? En tout cas, beaucoup y ont cru et y ajoutent encore foi. Certes, les légendes se perdent, s'estompent et voient leur valeur s'amenuiser avec le poids des années, mais le plus important est que quelque part, quelqu'un, même une seule personne, un seul être, y croit toujours...

Perdu au milieu de la forêt, bien à l'écart du royaume et flirtant avec un petit village, se dressait une maisonnette de deux étages. Des murs de pierres et un toit d'un rouge sombre composaient l'extérieur. On notait sur le côté de la maison, un chêne immense auquel une balançoire avait été suspendue. Non loin de là, une table de bois avait été disposée sous un parasol aux teintes pastel. À l'opposé, il y avait un potager ainsi qu'une cabane pour les oiseaux cherchant un abri. Des fleurs fleurissaient un peu partout, aussi bien dans la prairie que dans les jardinières prévues à cet effet. À l'arrière de la bâtisse, il y avait un étendage où justement la lessive claquait au vent.
Une silhouette se dessinait au travers des draps blancs, alors qu'une main ajoutait des pinces à linge. Ce fut à cet instant qu'un bruit de pas de course s'éleva depuis la maison, puis ce fut le claquement de la porte donnant sur le jardin. Le bruissement de l'herbe écrasé sous la semelle d'une paire de chaussures, puis une voix fluette vinrent rompre le calme naturel des lieux.
"Papa ! C'est l'heure !! On y va ?!
Aux propos de son fils, l'intéressé se retourna pour accueillir juste à temps son enfant entre ses bras. Père et fils possédaient la même crinière de feu, un regard profond et bleu semblable. La seule chose les différenciant restait leurs oreilles. Tandis que l'un avait les avait normales, le second les avait pointues.
– Oui, Otshi. Nous allons y aller. Je t'ai promis de t'emmener pêcher, alors nous irons. Tu as fini avec les sandwichs ?!
Tout en parlant, Valine cala sa progéniture contre lui tout en regagnant la maison. Blotti contre son géniteur, le petit garçon jouait avec le collier que le retraité gardait autour du cou.
– Dis papa ? C'est quoi cette bague ? Ton alliance ? Je croyais que tu n'avais jamais été marié.
– Je ne l'ai jamais été. C'est mon père qui me l'a confiée à sa mort. Il semblerait que ce soit un trésor de famille. Et un jour, tu en hériteras à ton tour.
Alors même qu'il finissait sa phrase, un cri s'éleva dans le ciel. Dans un même ensemble, le duo redressa la tête pour admirer le vol inattendu du phénix. Ce dernier laissa de ses plumes enflammées une traînée d'or qui s'estompa lentement.
Souriant à Otshi, Valine se montra confiant en l'avenir. Hotori veillait sur Darconia, veillait sur eux.
– Oh ! Papa !! La bague a brillé !", s'extasia le petit Otshi.
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