Chapitre 8 : Révélations

Le ton, calme d’apparence, transpirait d’une colère contenue. Zeshin et Ryuma redoutèrent le pire. Et malgré l’intervention de Zang, Hayato n’obtempéra pas. Bien au contraire, cet ordre venu d’un dragon lui déplut farouchement.

 

­"Taisez-vous ! Vous n’avez pas à vous immiscer dans ma relation avec ma fiancée.

 

« Oh, vraiment ? », songea Zang. Cet énergumène lui sortait littéralement par les yeux ! Il porta ses prunelles vers la princesse des cieux. Leurs regards se croisèrent. Sans un seul échange, Zang devina le message muet que ce contact visuel signifiait. Elle le suppliait de ne pas insister. Sauf que s’il se contentait d’observer, il se le reprocherait éternellement.

 

Sans un mot, il franchit les quelques pas les séparant. Les appels de sa famille derrière lui résonnèrent à ses oreilles, mais il n’en eut point cure. D’une main ferme, il agrippa le poignet d’Hayato et le serra avec force.

 

— Lâchez-moi, sale reptile ! Comment osez-vous me toucher, moi, un dieu ?

 

— Je vous ai demandé de la libérer. Votre manque de coopération et de délicatesse à son égard me scandalise. Moi, le messager de l’amour, je ne peux pas demeurer indifférent à sa souffrance.

 

— Je la traite de la manière dont il me sied ! tempêta Hayato. Elle est ma fiancée et je dispose de sa personne comme bon me semble. Elle n’est rien de plus qu’un outil.

 

Les deux hommes se dressaient l’un en face de l’autre. La tension entre eux montait de seconde en seconde. Zeshin pesta contre sa mauvaise fortune. Mais qui lui avait mis un tel frère entre les pattes ?! Bon sang, il allait réellement provoquer un incident diplomatique si personne ne l’arrêtait !

 

— Un outil ? s’offusqua Zang.

 

Il ne comprenait pas la mentalité de ce gars. À moins, pensa-t-il en coulant un rapide coup d’œil vers Eien, que ce soient les dieux le problème.

 

— C’est cela. Elle me permettra d’accéder au trône et me donnera des héritiers. Voilà sa seule et unique raison d’exister.

 

Le sang de Zang ne fit qu’un tour. Comment osait-il proférer de telles choses en leur présence, mais surtout devant la principale concernée ? Et pourquoi ne se défendait-elle pas ? Était-ce parce qu’elle partageait cette vision de la vie ? Il serra le poing et avança d’un pas menaçant en avant lorsque tout à coup, une voix s’éleva toute proche :

 

— Oh la ferme ! Hayato ! Ta connerie égale ton égo !!

 

Au même moment, un coup de pied dans son postérieur le fit rouler au sol. Choqué et médusé, tout le monde regarda le dieu de second degré avant de reporter leur attention sur le responsable.

 

À la vue de la jeune femme se tenant là où Hayato se trouvait quelques secondes plus tôt, bon nombre d’habitants de Darconia pâlirent. “Que faisait cette femme ici ?”, se demandèrent alors Ryuma et Zeshin de concert ? Elle, qui ne quittait jamais les terres de son royaume, était venue sans même s’annoncer. Pourquoi ? De plus, elle paraissait connaître le messager des cieux.

 

— Reine Towa, quel beau vent vous porte jusqu’à Darconia ? s’enquit Zeshin dont l’inquiétude s’accroissait de seconde en seconde.

 

En effet, gérer les Célestiens, ce n’était déjà pas une mince affaire ; et Zang ne demeurait pas en reste. Mais cette visiteuse était réellement dangereuse de par son imprévisibilité. Néanmoins, la stupeur fut totale lorsque la jeune femme à la crinière blanche révéla d’une voix neutre :

 

— Un déséquilibre a été créé par une magie divine, et cela provenait de Darconia. L’harmonie des mondes est fragilisée. Si rien n’est fait, il se brisera et une catastrophe sans précédent se produira. Ce qui me surprend tout de même, Zeshin, c’est que l’erreur vienne de votre peuple.

 

Un sourire railleur étira les lèvres de la blanche. Franchement, combien de crises allait-il devoir encore gérer avant de pouvoir se concentrer sur le réel problème ? Enfin, si Towa s’était elle-même déplacée, cela signifiait plus que des mots que la situation était grave.

 

Las, il promena ses prunelles cendrées sur les nombreuses têtes présentes. Il se devait d’agir ! La conjoncture l’exigeait après tout.

 

Ce fut sans doute avec cette détermination qu’il pivota vers Eien et fit part de sa décision. Il n’était plus question d’union ou autre. Non, la réparation de cet incident restait la priorité ! Towa venait elle-même de le dire. Si les choses demeuraient en l’état, ce serait une catastrophe.

 

— Nous devons œuvrer main dans la main si nous voulons réussir.

 

Le rire d’Hayato retentit. Les regards convergèrent sur sa personne tandis que le blond annonçait sans détour qu’aucune association entre leurs deux peuples ne se ferait. Oh que non ! Cela, jamais leur souverain ne le permettrait. Et pour cause, par le passé, des dieux et des anges, un nombre si grand qu’il ne leur était point possible de les citer avait péri pour rétablir cet équilibre et sauver les différents royaumes.

 

— Sacrifiez vos propres magiciens. Célestia ne bougera pas. »

 

Pendant qu’un conflit diplomatique se profilait aux abords du lac, Darco et Kadar s’infiltraient dans le palais à la recherche de leur ami. Fort heureusement, les gardes avaient déserté les lieux et les uniques occupants n’étaient rien de plus qu’une poignée de domestiques.

 

Malheureusement, le château étant si vaste, ils mirent un temps considérable à débusquer leur compagnon. Mais, lorsqu’ils le retrouvèrent, le soulagement les gagna. Soulagement qui s’évanouit instantanément à la vue de son état.

 

Anxieux, Kadar observa le visage endormi de son ami. Il semblait calme et serein. Il avisa par conséquent de la perfusion plantée dans son bras avant de remonter le long du tuyau jusqu’à une poche. Qu’est-ce que ses kidnappeurs faisaient à Ryu ? L’inquiétude l’assaillit et redoutant le pire, il agrippa la transfusion et s’apprêtait à l’arracher lorsqu’une voix s’éleva dans leur dos.

 

« Je ne ferais pas ça si j’étais toi.

 

Vifs comme l’éclair, Kadar et Darco pivotèrent vers l’inopportun. Le premier sortit sa dague alors que le second bandait son arc. Néanmoins, à la vue du vieil homme vêtu d’une blouse blanche, ils hésitèrent. On ne tuait pas les anciens chez eux.

 

— À vos tenues, je devine que vous êtes ses camarades. Même si lui était nu.

 

Kadar tiqua. Ryu ? Nu ? Impossible. Il ne se découvrait que pour se baigner, et même parfois, il le faisait, habillé.

 

— On va le prendre avec nous et retourner d’où on vient.

 

Mit, médecin royal, plissa les yeux et s’approcha de quelques pas. Les mains dans le dos, il les dévisagea à tour de rôle avant de regarder vers le patient. On lui avait donné la charge de le sauver, et il se démenait pour accomplir le vœu du prince héritier. Et cela n’avait pas été aisé. Pourtant, il n’était pas stupide au point de s’imaginer une seule seconde battre ses deux types. À leur carrure, leur physionomie, on en déduisait sans aucune difficulté leur statut de guerrier. Il ne faisait par conséquent nullement le poids.

 

— Procédez donc puisque son existence vous importe si peu.

 

— Tu nous menaces ? s’insurgea Darco prêt de décocher sa flèche.

 

Calme, nullement impressionné par cet accès de colère, Mit se saisit de la feuille de soins et la consulta sans plus les regarder. Il leur confia néanmoins :

 

— On m’a chargé de lui sauver la vie. Cela fait plusieurs jours que je me démène. Il a perdu trop de sang. Mais, ce qui m’inquiète vraiment, c’est qu’il n’a pas repris connaissance.

 

Lui sauver la vie ? Pourquoi les usurpateurs feraient-ils une telle chose ? Ils étaient ennemis après tout. Ennemis… Ce mot résonna en lui, se répercuta dans tous les coins de la tête de Kadar. Mais oui ! Quel idiot il était ! Ils voulaient le garder en vie afin de le torturer et de lui arracher la localisation du village ainsi que toute une foule d’information.

 

— On va l’emmener. On s’occupera de lui, arqua Kadar en tranchant le câble de la perfusion.

 

Aussitôt, les appareils se mirent à crier leur désaccord tandis que le corps jusque-là inerte de Ryu entama une danse macabre. Choqués, Kadar et Darco reculèrent de plusieurs pas, se demandant ce qu’il se passait.

 

— Vous voulez l’escoffier, ma parole ?

 

Furieux du résultat, Mit, malgré son âge avancé et une silhouette marquée par le poids des années, bouscula les deux chasseurs et tenta de réparer les dégâts. Il sentit la lame aiguisée contre sa gorge, mais ne s’en soucia point.

 

— Tuez-moi si cela vous convient. Mais, vous condamnerez aussi votre ami. Mais sa fin sera plus douloureuse que la mienne. Et dans son état, il n’arrivera jamais en vie sur sa montagne.

 

— Ryu n’est jamais mal au point. Son pouvoir de dragon l’a toujours protégé des maladies. Il guérit plus vite que les autres de ses blessures.

 

— Peut-être bien. Mais il n’a plus ce pouvoir. »

 

Choqués, médusés, les deux chasseurs se dévisagèrent quelques instants avant d’exiger des explications du vieil homme. Or, Mit s’abstint de les éclairer, préférant, dans un premier temps, se concentrer sur la survie de l’alité.

 

Le plus comique dans cette situation fut assurément le fait que privé de ses assistants, Mit mit à contribution les deux étrangers. Il leur distribua des ordres qu’ils n’accomplissaient pas toujours. Non pas qu’ils se butaient à refuser de l’épauler, mais plutôt parce qu’ils ne comprenaient pas ses exigences.

 

Après une bataille des plus rudes, la sérénité revint dans la chambre. Ryu de nouveau calme paraissait dormir du sommeil du juste.

 

« Ce tuyau est ce qui le nourrit actuellement. Il y a tous les nutriments nécessaires à sa survie, expliqua le vieil homme avant de les inviter à le suivre.

 

Or, les deux chasseurs refusèrent catégoriquement de s’éloigner de leur ami. À la détermination dans leur regard, Mit comprit sans peine qu’il serait vain d’insister. Il exhala un long soupir et s’installa dans un fauteuil.

 

— Tu as dit qu’il n’avait plus ses capacités. Que veux-tu dire ? s’enquit Darco en s’asseyant sur le bord du lit.

 

— Votre ami a été emmené ici par la princesse Zakuya. Elle a risqué sa propre existence pour sauver la sienne. Il était en piteux état et inconscient. Son pouvoir était incontrôlable. Nul ne pouvait l’approcher sans y laisser la vie. Nous n’avons pas eu d’autre choix que de le sceller afin de lui éviter une mort lente et douloureuse.

 

— Attends, comment c’est possible ? On peut vraiment lui retirer son don ? Mais… sans lui… la montagne…

 

L’inquiétude de Kadar était réelle et palpable. Mit eut bien envie de le questionner sur ses derniers mots, mais s’en abstint. De plus, il doutait sincèrement qu’il lui réponde. En tout cas, il était évident que ces deux étrangers tenaient à leur ami.

 

— On ne les lui a pas retirés. Ils sont toujours en lui, mais en sommeil. Il les retrouvera dès que le sort sera levé.

 

— Quand pourrons-nous partir avec lui, alors ? demanda encore Kadar.

 

— Jamais, fit tout à coup une voix depuis la fenêtre. Ce petit gars est vraiment intéressant.

 

— A… bbadon ? balbutia Mit pâle comme un linge. »


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