Chapitre 7 : Alliance

« Il ne sied guère au peuple de Célestia de se comporter tels des sauvages.
— Il va provoquer une guerre à lui seul, marmonna Ryuma depuis sa place, consterné.
— Qui est-ce, père ? Je ne l’ai jamais vue et aucun portrait de sa personne ne m’a été présenté.
Zeshin s’interrogeait sur l’identité de la jeune fille. Toutefois, il se doutait de la réponse. Une adolescente accompagnait Hayato et si elle osait interférer de la sorte, cela soulignait son importance. Sans compter, son port altier, sa prestance et sa grâce à chacun de ses mouvements.
Ryuma demeura pensif. Ses yeux étrécis, alourdis par le poids des années, scrutèrent la nouvelle venue. Cette jeune personne devait avoir approximativement le même âge que les jumeaux, ce qui précisait son identité. Shibuya la cachait au regard de tous, à la face du monde depuis sa naissance. Toutefois, un détail l’intriguait. Un détail qui avait tout de même une importance capitale. Les dieux, quels qu’ils soient, possédaient une crinière blanche ou dorée, mais aucun ne détenait de chevelure aussi noire que celle de cette fille. Et pourtant son aura divine, sa force demeurait incontestable.
— Il ne peut s’agir que de la princesse Eien. Mais, je doute que sa présence provienne du fait de son père.
Et il ne se trompait point, puisqu’au même instant, quelques marches plus bas, l’adolescente confirmait leur dire dans une présentation des plus simples.
— Je devrai peut-être me rendre à Célestia lors de la prochaine visite diplomatique, fit Zang en scrutant les courbes de la jeune fille.
Zeshin leva les yeux au ciel. “Que le Phénix tout puissant l’en préserve !” pria-t-il, intérieurement. Si d’aventure, Zang jouait de son charme sur l’héritière de Célestia, une guerre en découlerait à n’en pas douter. Shibuya se plairait à le leur faire regretter. La paix ne tenait qu’à un fil et il ne permettrait pas à son frère de le trancher. Il s’interrogea également sur les raisons de la présence de la princesse à Darconia. Cependant, après quelques secondes interminables, Eien ne tarda point à annoncer les sanctions que son père prenait à leur encontre. Il demandait réparation. Nul n’avait le droit d’user de la magie divine sans accord préalable. Et Darconia n’échappait point à la règle.
— Je serai concise, altesse, débuta Eien, en plongeant son regard dans les profondeurs de celui de Zeshin. Le roi Shibuya, roi de Célestia, exige la vie du responsable. Nos sorts recèlent du péril ; et les utiliser également. Le déséquilibre que l’un des vôtres a provoqué vient d’ouvrir une brèche vers le néant. Vous n’êtes pas sans savoir les sacrifices nécessaires pour la refermer. »
De cette longue diatribe, Zeshin ne retint qu’une chose : ils quémandaient la tête du coupable ? En d’autres mots, ils convoitaient celle de Zuko ? Zeshin, impassible, dévisagea la princesse. D’après les révélations de son géniteur, la jeune fille vivait jusqu’à présent cloisonnée dans une cage dorée. Il en déduisit que l’habitude de ce genre de négociation lui faisait cruellement défaut. Dans de telles conditions, elle ploierait face « au requin ». Du moins, il l’espérait, car dans le cas contraire, il refuserait d’obtempérer et sacrifier son frère.
Avec un soupir, Zeshin jugea judicieux de calmer les hostilités latentes et offrit à la princesse de se joindre à lui autour d’une table. Eien le sonda quelques secondes avant d’opiner légèrement de la tête. Face à cela, Hayato explosa. Il contestait catégoriquement le fait que la jeune femme soit enfermée dans une pièce sans surveillance.
Zang coula un regard vers Zeshin. Cet olibrius insupportable devait horripiler sérieusement son aîné. Et il ne se trompait guère. L’héritier du trône bouillonnait intérieurement. Cependant, son éducation lui interdisait d’exprimer son mépris à son encontre.
– Que craignez-vous donc ? Que j’égorge votre princesse ? Contrairement à certaines personnes, je ne cherche point querelle à Célestia. Une guerre nous desservirait tous.
— Sous-entendez-vous que j’aspire à la guerre ? s’offusqua Hayato.
— Vous sentiriez-vous visé ? Vous m’en voyez navré.
Hayato ouvrit la bouche, prêt à répliquer lorsqu’Eien intervint.
— Votre Altesse, veuillez pardonner l’outrecuidance de mon fiancé.”
Hayato, estomaqué, grinça des dents. Les poings serrés sous l’effet de la colère, il s’apprêtait à prendre la parole. Entendre sa promise s’excuser de la sorte lui déplaisait. Cependant, il n’eut guère le temps de prononcer le moindre mot puisque d’un seul geste Eien le réduisit au silence. Puis, elle s’avança vers le prince de Darconia et s’inclina légèrement avant d’indiquer son désir de s’entretenir avec lui en privé.
Zeshin opina du chef et donna quelques consignes. Les soldats patienteraient dehors tandis que le fiancé attendrait dans le salon en compagnie des membres de sa famille. Et afin qu’on ne les traite point de barbares, il ordonna à ce que l’on serve à boire et une collation à leurs invités.

Quelques minutes plus tard, Eien s’installait dans un fauteuil face à Zeshin. La jeune fille était venue sur un coup de tête sans savoir avec certitude ce qui l’attendait. Or, à présent, il en allait tout autrement. Elle réalisait, ô combien, la situation s’avérait délicate.
Néanmoins, avant d’entamer les discussions, ils patientèrent que les domestiques achèvent leur service. La princesse mit cela à profit pour étudier la pièce. Elle s’imaginait se retrouver cloisonnée dans un bureau, mais il s’agissait d’un petit salon.
La porte blanche sculptée d’un phénix et de lys s’entremêlant d’or se dressait jusqu’au plafond. Une tapisserie bleue recouvrait les murs ainsi qu’un tableau dont elle admira la beauté. Elle reconnut le cerisier en fleurs de Darconia. Il surplombait tout le royaume tel un protecteur. On distinguait également quelques silhouettes volant dans le ciel. Nul besoin de réfléchir trop longtemps pour comprendre qu’il s’agissait là d’écailleux.
Mue par la curiosité, Eien abandonna son siège sous le regard intrigué de Zeshin. Elle se campa devant la peinture et l’examina. Elle n’avait jamais vu de dragon, tout du moins, pas sous leur apparence animale. Et cela la fascinait autant que cela piquait son intérêt.
« Votre Grâce, je me tiens prêt à vous offrir une occasion d’observer ces magnifiques créatures, si telle est votre volonté.
Eien, se détournant de la peinture pour lui adresser une œillade empreinte d’une curiosité gracile, lui offrit un sourire approbatif.
— Cette offre, bien que généreuse, me comble, Monseigneur. Les dragons ont toujours habité mes songes de leur présence mystique.
Zeshin, satisfait par sa réponse, se prépara alors à entamer les négociations plus sérieuses.
– À présent, Votre Grâce, si vous me le permettez, je souhaiterais aborder des sujets plus délicats.
Eien, son regard fixé dans le sien avec une volonté d’acier, acquiesça en silence.
– Naturellement, Monseigneur. Il me semble nécessaire que nous discutions des mesures à prendre suite à ces événements malheureux.
Eien regagna son fauteuil, face au prince héritier. Elle le savait, le sentait avec chaque fibre de son être : le bras de fer qu’elle s’apprêtait à mener s’annonçait redoutable. Il s’agissait, certes, de sa toute première rencontre avec Zeshin, toutefois sa réputation de requin le précédait.
Eien, ainsi préparée et alerte, prit place face à Zeshin, qui à travers ses yeux perçants commença à distiller son venin avec volupté. Elle s’adressa à lui plutôt comme à un homologue qu’un concurrent.
– Monseigneur, seule votre bonté m’a ouvert ces portes. Accorderions-nous présentement nos pensées aux termes de cet échange ?
Zeshin, le regard pénétrant, analysa la jeune princesse. Il savait qu’elle constituait un risque majeur dans le jeu politique qui se dessinait.
– Bien sûr, Votre Grâce. Je vous le dis sans faux-semblants, à présent… L’issue de nos discussions pèsera, j’en ai peur, sur l’orfèvre qui portera la couronne en dernier lieu.
Un léger frisson parcourut Eien, ne laissant pas indifférent le vigilant Zeshin. Il leva son verre en cristal puis invita poliment la princesse à trinquer.
— Dîtes-moi, cherchez-vous à associer notre alliance à une adoration pour les dragons ? Votre admiration semble réelle…
Ce détour inattendu intrigua Eien, mais elle s’orienta néanmoins dans le sillage de Zeshin.
– En effet, Monseigneur. Leur majestuosité, leur puissance… Ce sont indubitablement des créatures fascinantes. Ne serait-il pas merveilleux de lier deux royaumes avec une telle bête comme emblème ?
La tromperie envoûtante de Zeshin fleurit alors dans son sourire rayonnant.
— Votre vision est édifiante, Princesse Eien. Unir des êtres redoutables tels que des dragons… C’est, selon moi, un symbole parfait pour présager de notre alliance promise.
L’idée d’un mariage se glissa doucement dans leur conversation, tout comme Zeshin l’avait prévu. Il avait réussi à orienter les discussions dans la direction souhaitée sans même que la jeune fille s’en rende compte. La pièce était en place. Les damiers de la stratégie étaient manœuvrés avec doigté. Il ne restait qu’à attendre la suite, mais Zeshin se montrait serein. La partie était déjà gagnée.
Zeshin observait Eien, évaluant chacune de ses réactions alors qu’il semblait lui révéler ses intentions. C’était une joueuse plus douée que ce qu’il avait estimé. Il lui fallait la circonscrire avec délicatesse.
– Les êtres puissants doivent souvent se lier pour unir leurs forces face à un même opposant, n’est-ce pas ? dit-il en faisant tournoyer le liquide ambré dans son verre.
Il posa ensuite son regard pénétrant sur Eien et continua :
– Selon moi, un ennemi commun paraît se dessiner à l’horizon.
Eien resta silencieuse, quelque peu déconcertée par cet aveu. Il avala une gorgée d’alcool avant de prendre la parole, plongeant ses yeux dans les siens.
– Notre ennemi commun actuel réside dans le déséquilibre provoqué par l’utilisation de la magie divine par un membre de ma famille sans accord préalable.
Il marqua une pause, observant le visage de la princesse pour y déceler une réaction. Eien demeura stoïque, un voile sombre dissimulant ses émotions.
Zeshin retrouva sa contenance et enchaîna:
– Notre royaume accepte de se soumettre à la demande de votre père. Le coupable sera livré à Célestia pour y être jugé selon vos lois et coutumes. Cependant, nous demandons à ce qu’il soit traité avec respect durant sa captivité.
Eien, surprenamment, se laissa un instant déconcerter par cette progression soudaine. Pourtant, elle se reprit rapidement.
– Nous considérons tous nos prisonniers avec dignité, Monseigneur. Zuko sera donc détenu ainsi. En outre, je suis persuadée que mon père approuvera mes discussions avec Darconia s’il y a une telle coopération de votre part.
Zuko. Le nom de son frère flottait dans l’air alors que Zeshin lâchait le coup de grâce.
– Alors que diriez-vous, princesse Eien, si nous unissions nos forces de manière plus pérenne ? Pour que nos royaumes affrontent ensemble les défis futurs, par un lien plus profond…
Eien demeura un moment silencieuse, percevant la direction que prenait la conversation. Ses joues empourprées, elle leva ses yeux vers Zeshin, réalisant qu’elle avait été prise au piège dans sa propre partie.
– Un lien… Matrimonial ? Murmura-t-elle.
Zeshin sourit, avait-elle un don pour deviner ses intentions ?
– Pourquoi pas ? Nos cœurs faisant moins de bruit que nos épées, ils pourraient bien nous sauver des feux de la guerre.”
Ce fut avec ce subterfuge qu’il s’assura de l’emprisonnement de Zuko à Célestia et du mariage avec la princesse Eien. Les engrenages de la politique tournaient en douceur, mais efficacement. Et s’il déplaçait correctement ses pions à l’avenir, Zuko retrouverait sa liberté.

À l’instant où ils rejoignaient le groupe, Hayato se précipita vers sa promise et lui saisit la main. Cependant, lorsqu’elle annonça de sa voix fluette sa sentence, Hayato perdit son calme. Il broya les doigts de la jeune fille avant de la sermonner. La folie, s’était-elle emparée de son âme ? Elle ne devait pas se montrer aussi veule face à des criminels !
À l’expression de souffrance d’Eien, les traits de Zang se durcirent brusquement. Comment osait-il brutaliser une femme ? Défenseur des faibles et des opprimés — mais bien davantage celui de la gent féminine — le général des armées interjeta :
« Je vous conseille de la libérer. Vous lui faites mal.”
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