Chapitre 6 : Visite impromptue

Darco et Kadar avaient suivi aussi discrètement que possible l'écailleux vert dans le ciel. Son identité importait peu. Néanmoins, cet imbécile venait assurément de provoquer leur mort. Ce n'était pas pour rien qu'on leur défendait à eux, dragons des glaces, de flirter avec les nuages. Et cette étrangère, non contente de kidnapper l'un des leurs, avait divulgué leur présence à des ennemis redoutables et friands de chairs de reptiles.
Le pire pour ces deux jeunes chasseurs ne fut point de descendre la montagne, mais plutôt de fouler les terres verdoyantes de Darconia. Ils connaissaient les tabous, les interdits de leur village. Pourtant, leur ami prévalait sur tout le reste, d'autant plus que Nox n'approuverait pas qu'ils reviennent sans lui ou sans un semblant d'informations.
Tapis dans un buisson, les deux hommes suivaient les allées et venues des habitants. Ils avaient rapidement compris à leur première rencontre avec les Darconiens que leur style vestimentaire ne manquerait pas d'alerter l'ennemi. Ce fut pour cette raison qu'ils se dissimulaient des regards. Autant dire que leur progression avait été bien difficile. Ils n'étaient pas parvenus à rattraper le dragon aux écailles de jade, mais ils avaient pu voir son point de chute.
"Ça me fait chier, Kadar. Il est où, Buzz ? Avec lui, on trouverait Ryu sans problème. Je te jure que je vais le rôtir ce piaf.
Kadar prêta une oreille attentive aux paroles de son ami qu'il ne releva pas pour autant. Son intérêt était bien trop accaparé par ce qu'il se déroulait actuellement. Devant le mur d'enceinte de cette hutte dépassant largement la taille de leur village, Kadar observait les hommes postés à l'entrée. Ils étaient curieusement habillés, nota le chasseur, et ils arboraient des armes étranges. Même si certaines d'entre elles brillaient de similitude avec celles dont ils usaient.
À l'instant où le rayon de lumière dorée frappa le sol, Kadar fronça les sourcils. Intérieurement, il savait que cela n'était point habituel et revêtait un caractère dangereux. Chose qui confirma ses craintes lorsqu'il vit les gardes s'affoler à l'entrée et abandonner leur poste.
- C'était quoi ce truc ? s'enquit Darco dans un souffle.
- Aucune idée, mais c'est pas normal. Et ils semblent anxieux aussi. Suis-moi, la voie est libre.
Profitant de cette circonstance opportune, ils se faufilèrent à l'intérieur. L'effervescence de l'autre côté avait de quoi éveiller son inquiétude. Néanmoins, ils ne s'attardèrent pas sur ce point. Le plus urgent était de retrouver leur ami. Cela faisait des jours entiers que l'écailleux avait capturé leur camarade. Ils ne pouvaient point non plus espérer une aide quelconque du village. Cela leur arrivait régulièrement de partir en quête de gibiers sur de longues périodes ce qui n'alerterait donc personne.
- On le trouve comment ? On est des chasseurs, mais pister Ryu c'est pas pareil qu'un animal.
- On file un dragon vert, pas lui. Mais, si Ryu est ici, Buzz ne doit pas être loin.
Et comme pour attester de ses dires, il porta deux doigts à sa bouche et émit un sifflement semblable au cri d'un oiseau. Ils patientèrent quelques instants avant de voir l'aigle fondre droit sur eux. Il vola autour d'eux, picora le sommet de leur tête.
- Fais-le taire ! gronda Kadar. On va nous repérer à cause de cet idiot.
- Mais, il est tellement content de nous retrouver.
- C'est pas toi qui voulais le rôtir ?
Attrapant Buzz, Darco s'assit dans l'herbe souriant de toutes ses dents tout en caressant le plumage de l'oiseau. Cependant, Buzz n'adhéra point à ce projet et comme pour signifier qu'il avait entendu et comprit, il mordit de bon cœur le pouce du chasseur. Étouffant un juron, le regard meurtrier Darco sortit sa dague de sa ceinture, prêt à l'égorger.
- Tu m'arrêtes pas, s'étonna Darco en portant son attention sur Kadar accroupi non loin.
- Je perdrai pas mon temps à le faire. Par contre, Ryu te loupera pas. Tu sais combien il tient à Buzz.
Il marquait un point. Renonçant à sa petite vengeance, Darco libéra l'aigle qui s'envola aussitôt. Cependant avant de s'éloigner, il alla planter ses serres aiguisées sur le sommet du crâne de son bourreau.
- Je vais te..."
Vivement, Darco se vit réduit au silence et plaquer sur le sol. Kadar venait de se jeter sur lui et le bâillonnait d'une main. D'abord surpris par cette attitude, le chasseur battit des paupières et suivit le vol de Buzz au-dessus d'eux. Bon sang, il ne savait pas Kadar aussi entreprenant et même que ce genre de relation l'intéressait. Avec son apparence, il l'imaginait davantage au bras d'une femme. Ce qui malheureusement n'était pas son cas. Il n'avait pas vraiment de charme et les filles se moquaient de lui plutôt que succomber à son physique.
Alors, sans plus réfléchir et se laissant porter par les pensées l'assaillant, il referma ses doigts sur le postérieur bien musclé et rebondit de son compagnon qu'il massa lentement.
Effaré, se raidissant, Kadar se redressa quelque peu. Mais il foutait quoi, là ? Il croyait sincèrement que c'était le moment de s'amuser ? Dans quel monde vivait cet attardé ? Le regard furibond, il tenta de s'écarter. Or, ce n'était point ce que son acolyte envisageait. Avec fermeté, de ses deux mains sur les hanches de Kadar, Darco le ramena contre lui.
"Tu fais quoi, là ? Si tu me lâches pas, je te défonce la tronche. Et puis, ta dague me fait mal.
- C'est ma queue, pas mon poignard, mais je veux bien t'embrocher si ça t'intéresse.
Stupéfait, Darco qui s'attendait à se prendre un coup de poing bien senti vit Kadar se teinter de rouge. Il ne se rebellait pas davantage et cette vive coloration de son faciès avait de quoi plaire.
- T'es mignon en version foie d'urlkome."
De plus en plus contrarié, Kadar lui glissa entre les doigts. Il n'était pas possible. Il n'était déjà pas gérable en temps ordinaire, mais là, il dépassait les bornes. D'autant plus qu'ils devaient mener un sauvetage à terme et sans délai.
Pourtant, très rapidement, l'atmosphère changea. Un claquement d'ailes au-dessus d'eux les alerta. Curieux et dans un même ensemble, ils redressèrent la tête. À la vue inattendue et toute neuve des êtres se mouvant dans le ciel, Darco et Kadar demeurèrent sans voix.
C'était la première fois qu'ils assistaient à pareil ballet. Qu'étaient donc ces créatures ? Elles ne ressemblaient à rien de connu pour eux. Il s'agissait d'êtres à visage humain. Mais dont les ailes ne possédaient aucune caractéristique draconique. Non, leurs ailes immenses et puissantes étaient faites de plumes d'un blanc immaculé, pures comme la neige. Leurs vêtements aussi se différenciaient, non seulement, de ceux des dragons de la montagne, mais également des Darconiens. Ils ne portaient en tout et pour tout qu'une simple toge assortie à leurs appendices et des sandales de cuir. Certains étaient torses nus, et avaient à leur bras, tel un bracelet précieux, un ornement des plus étranges. Fronçant les sourcils, Kadar avisa des armes qu'ils tenaient à la main. De toute évidence, ces choses n'étaient pas venues en amis. Peut-être même étaient-elles là pour s'approprier leur compagnon : Ryu.
"On doit se magner, Darco. Ça ne me dit rien qui vaille. Ryu est en danger."

D'une foulée aussi vive que rapide, Zakuya atteignit l'entrée du palais où se pressaient déjà les gardes royaux et autres forces militaires avec à leur tête son frère Zang. Fier et déterminé, il barrait l'accès du château aux visiteurs inattendus et dont la présence semblait hostile.
En face de l'armée du royaume, les anges venus des cieux se posaient tour à tour. Leur mine ne révélait aucune émotion, aucune intention. Sans énoncer un mot, le cœur battant ; et redoutant le pire, Zakuya rejoignit Zang qui en la voyant, ordonna à ses soldats de la conduire à l'intérieur.
Hélas, la jeune femme ne l'entendait pas ainsi. Elle ne fuirait pas face à cet ennemi. S'il était venu se battre, elle leur ferait également tâter de ses talents de combattante aguerrie. Enfin... là, elle n'avait pas son sabre. Par conséquent, à part subtiliser celle d'un autre, elle devrait faire sans.
Sur le haut des marches du château, la dragonne de la nature vit alors les anges s'écarter et s'agenouiller afin de permettre à leur chef de s'approcher. Mais, autant de déférence indiquait aussi qu'il ne s'agissait pas là d'un simple messager. Non, à n'en pas douter, il s'agissait du roi en personne ou de son héritier.
"Je savais qu'ils viendraient, mais pas si vite, marmonna son père en la dépassant.
Avait-il prévu leur visite ? Comment cela ? Tandis qu'elle s'interrogeait, elle remarqua Zeshin. Tête haute, le regard acéré, il s'approcha. Il ne la gratifia d'aucune œillade, ni même un mot avant de rejoindre à son tour Zang sur la ligne de front.
Ce fut uniquement à cet instant que Zakuya le vit. Il était grand, immense et bien bâti. Il émanait de sa personne, une aura des plus étranges. Une aura divine et puissante qui la fit frémir d'appréhension. Fronçant les sourcils, elle se questionna sur son identité. D'après ses cours d'histoire, elle n'était pas sans savoir que le roi actuel de Célestia n'avait qu'une fille, même si certaines rumeurs lui octroyaient une enfant illégitime. Était-ce le futur héritier du trône ?
Tout à ses interrogations, elle le détailla plus en détail. Contrairement aux anges vêtus de tuniques ou de toges, il arborait fièrement un impeccable costume blanc agrémenté d'un liseré d'or. À son bras, on remarquait également un brassard brodé de fils dorés révélant sa caste. Enfin, pour eux, dragons, cela ne signifiait rien puisque leur système hiérarchique était quelque peu différent.
Ses cheveux d'un blond intense et lumineux rappelaient la couleur des blés, alors que ses prunelles bleues lui conféraient un certain charme. Quoique... En y regardant de plus près, Zaza frissonna. Il y avait quelque chose de froid dans ses billes azurées.
- Je suis Hayato Ranijiri, Primus du royaume de Célestia et futur souverain. Je me présente à vous sur ordre de mon roi.
Imperturbable, Zeshin le fixait et attendit qu'il eût fini sa diatribe avant de l'imiter.
- Bienvenue en notre royaume. Je suis Zeshin Shogunel, prince héritier. Il est rare de recevoir la visite des Célestiens.
- Balivernes que tout cela. Vous vous doutiez de notre rencontre imminente. Après tout, vous avez usé d'une magie nous appartenant. Vous avez violé un tabou et notre souverain demande réparation.
Inquiète, Zaza coula un regard vers son père qui lui sourit doucement avant de recouvrir son bras d'une main rassurante. Pourtant, malgré cela, l'angoisse ne cessait de croître. Pire, la culpabilité venait de la gagner à son tour, car elle mesurait enfin les conséquences de ses actions. En ramenant un étranger, même en partant d'une bonne intention, elle avait mis son royaume en péril.
Le roi Shibuya était réputé pour être dur, froid et intransigeant ce qui impliquait que les pourparlers ne mèneraient assurément à rien. Avait-elle provoqué un conflit sans précédent et qui conduirait à une guerre ?
Zeshin ne put contenir un rictus en coin, tant la manière d'exposer les faits de ce freluquet l'amusait. Prenant soin de bien le regarder droit dans les yeux, il s'avança, jusqu'à ce que deux anges pointent leurs lances sur son torse. Autant dire qu'aussitôt les gardes royaux firent un pas en avant en portant leur main à leur lame.
- Cessez cela. Personne ne versera une goutte de sang en ce lieu. Mais, il me ravit de constater, Dieu « Primus », que ma seule personne suffit à vous inquiéter.
Il avait énoncé ces quelques mots en insistant particulièrement sur le « second degré ». Il soulignait de ce fait une différence considérable entre eux. Il n'était pas un véritable Dieu, alors que lui était destiné à gouverner de par sa naissance.
- Vous m'insultez alors que vous êtes coupables ?
- Votre peuple est le premier à me manquer de respect, Hayato Ranijiri. Je suis Zeshin Shogunel, fils du monarque Ryuma et prince héritier du royaume de Darconia. J'attendais un peu plus de déférence de la part de Célestia. Mais, de toute évidence, votre bon roi nous méprise au point de m'envoyer un simple messager.
Le coup porta et Hayato ne sut guère quoi rétorquer. Il fulminait. Et sans doute aurait-il explosé si à ce même moment, une jeune femme n'avait pas surgi. Elle scinda les troupes divines en deux et vint se camper face à Zeshin. Son apparition en sidéra plus d'un et notamment Zang qui émit un sifflement appréciateur.
Aussitôt, une lance se plaça sous sa carotide. Ce qui le sauva ? Une main douce et gracile qui bloqua l'attaque.
- Il ne sied guère au peuple de Célestia de se comporter tels des sauvages."
Ajouter un commentaire
Commentaires