Chapitre 3 : Toujours en vie ?

La nouvelle se répandit telle une traînée de poudre au sein du palais. Zeshin eut beau tenter de taire cette donnée, rien n'y fit. Et lorsqu'un après-midi son père, le roi Ryuma, se présenta dans son bureau, il comprit sans mal la raison de sa venue.
Après tout, cela faisait bien longtemps que tout le monde croyait la race des dragons de glace éteinte à jamais. Et voilà que par un mystérieux coup du sort, Zakuya en avait rencontré un. Enfin, cela demeurait encore à prouver, mais rien ne lui permettait de douter des propos de sa petite sœur. De plus, alors même qu'il avait exigé que personne ne parle de cela, quelqu'un avait lâché le morceau. Oh ! Il connaissait le responsable et ce n'était point Zakuya. La jeune princesse savait mesurer l'impact de cette information.
Autant dire que le peuple risquait fort de s'inquiéter. Après tout, il ne fallait pas oublier le passé de leur patrie ainsi que la raison de l'absence des dragons de glace au sein du royaume. Les « glaçons » comme ils avaient été surnommés au travers de bons nombres d'anecdotes grotesques s'étaient retirés du groupe après un différend s'étant soldé sur un duel. Autant dire qu'ils n'avaient jamais plus entendu parler d'eux. À aucun moment, les livres d'histoires ne les avaient mentionnés ce qui expliquait qu'ils avaient conclu à tort, mais à juste titre, qu'ils s'étaient éteints. Alors, apprendre qu'il subsistait peut-être encore l'un d'entre eux sur les montagnes, avait de quoi inquiéter les habitants. Ils redoutaient, d'après les rumeurs colportées par les domestiques, qu'ils viennent se venger.
Et à dire vrai, Zeshin s'interrogeait à ce propos. Rien ne lui permettait à l'heure actuelle d'écarter une telle hypothèse. Et, il valait mieux demeurer sur ses gardes et se préparer à toutes les éventualités. Après tout, ils ignoraient avec certitude combien ils étaient. Zakuya n'en avait vu qu'un, mais avait entendu des voix. Voix qui appelait le dragon de glace qu'elle avait croisé et qui semblait lui avoir sauvé la vie.
Enfin, pour l'heure il s'avérait capital d'étouffer dans l'œuf les inepties que fomentaient certains esprits. Et ce fut sur ce point précis que Zeshin débuta sa discussion avec son père. Silencieux et sérieux, assis confortablement dans un fauteuil de velours rouges, brodés d'or et dont l'armature de bois était sculptée d'un phénix. Les mains marquées par le poids des années reposaient sur les accoudoirs tandis que son regard bienveillant scrutait les traits indéchiffrables de son fils aîné.
Zeshin maîtrisait à la perfection l'art de la dissimulation. Il s'avérait des plus ardus, pour qui ne le connaissait pas, de déchiffrer ses pensées. Ce qui, il fallait l'avouer, n'était point le cas de son géniteur. En effet, à cet instant précis, alors que l'héritier déblatérait un discours rassérénant, Ryuma décela, malgré tout, une once d'inquiétude. Son premier né émettait des hypothèses ne se basant sur aucune preuve concrète.
"Tu espères me rassurer avec ta conclusion ?
À cette question énoncée dans un soupir empreint d'une profonde lassitude, Zeshin comprit que son roi n'était pas dupe. Il avait voulu le soulager d'une angoisse supplémentaire, la jeune princesse en étant une bien assez grande à l'heure actuelle.
Sans sourciller, se forçant à une expression des plus indéchiffrables, Zeshin tendit la main vers le verre qu'un domestique, à présent disparu, lors de l'arrivée de Ryuma lui avait servi. Il le porta à ses lèvres et en savoura quelques gorgées avant de concéder avec honnêteté :
- Vous avez déjà bien trop à gérer avec Petit Rayon de Soleil. Je ne désirais qu'alléger vos soucis. Mais, comme je vous le disais plus tôt, je doute qu'une race depuis longtemps exilée ne se risque à nous attaquer. Sans compter que d'après le récit de Zakuya, le dragon l'a protégée d'une créature horrible.
Songeur, Ryuma se perdit dans ses réflexions lorsque la porte s'ouvrit à toute volée si bien qu'elle en heurta le mur. Sursautant les deux hommes tournèrent en un même ensemble le visage vers l'indésirable visiteur. À leurs grandes surprises, ils reconnurent la princesse, talonnée de près par son jumeau : Zuko. Ce dernier, bien plus réservé et timide, baissa la tête au point de la rentrer dans les épaules si possibles, tout en bafouillant des mots d'excuse.
Pour sa part, loin de s'émouvoir des regards réprobateurs de son père et de son frère aîné, l'adolescente traversa la pièce d'un pas alerte pour se camper, les poings sur les hanches, sous le nez des deux représentants masculins.
- Je suis la seule ayant vu ce dragon. J'estime ma participation à cette réunion légitime.
Zeshin porta son attention sur son géniteur. La décision lui appartenait. Le monarque dévisagea son unique fille et accéda à sa requête, non sans congédier Zuko. Ce dernier quitta sans tarder la pièce laissant ainsi le trio s'entretenir du sujet du jour.
- Alors, Petit Rayon de Soleil, dis-moi donc ce que tu as vu exactement", l'encouragea Ryuma.
D'un mouvement affirmatif de la tête, la princesse débuta son récit. Tout en faisant cela, elle s'installa sur l'accoudoir du fauteuil de Zeshin, prenant grand soin de retenir les pans de son kimono sur ses jambes.
Se replongeant dans les évènements de cette rencontre des plus inattendues, Zakuya abaissa les paupières. Elle voulait revivre chaque instant. Elle se rappelait tout avec une précision hallucinante.
Elle s'était éloignée du groupe en quête de fleurs hivernales au moment où le sol s'était mis à trembler sous la semelle de ses chaussures. Intriguée, pensant d'abord à un séisme, elle s'était redressée lorsqu'elle l'avait vu dévalant la montagne enneigée. Elle n'avait encore jamais rien admiré de comparable. À la forme, à son apparence, on jurerait voir une araignée, et pourtant, il n'en était rien. Non, elle était monstrueusement gigantesque, et au lieu des poils devant la recouvrir il s'agissait de glace. Et ses yeux... ses yeux la hantaient toujours parfois, la pourchassaient jusque dans ses cauchemars. Et tandis que la créature ouvrait grand sa gueule comme pour l'engloutir d'un seul coup de mâchoires, une bourrasque des plus virulentes avait balayé les lieux. L'air s'était refroidi en une fraction de seconde alors que tout fut congelé instantanément autour de cette abomination. Tout sauf, elle et l'espace entre l'araignée et Zakuya.
"Cette chose a été gelée, comme chaque brindille, chaque branche autour d'elle, fit la princesse. Et c'est là que je l'ai vu. Il était immense, gigantesque et d'un blanc immaculé. Ses écailles brillaient sous le soleil hivernal.
- C'était le dragon ?
- Oui. Mais, on aurait dit qu'il pourchassait ce monstre, car aussitôt pétrifiée, il l'a détruit. Il ne l'a pas mangé ou autre, il l'a juste réduit en poussière.
Ryuma demeura silencieux pendant plusieurs minutes. Si les dires de Zakuya s'avéraient exacts, cela signifiait qu'une chose et cela suscita une angoisse bien plus grande que ce qu'il montrait à ses enfants.
- Le peuple s'inquiète de les voir nous attaquer afin de se venger du préjudice subi par le passé. Nous ne pouvons point rester inactifs. Il est important de le rassurer, conclut Ryuma d'un tas las.
- Il m'a protégée ! clama la princesse. Ce monstre allait me tuer ! Et puis, lorsqu'on l'a appelé, certainement ses compagnons, il m'a poussé dans les fourrés.
- Pourquoi te cacher si son désir était de te protéger, Zaza ? Réfléchis donc un peu", la sermonna gentiment Zeshin.
Gonflant les joues, l'adolescente retint de justesse un commentaire acerbe. Il valait mieux ne pas faire de vagues, et se mettre son grand frère à dos.
L'entretien se poursuivit ainsi pendant plusieurs minutes, pratiquement une heure. Ryuma refusait de laisser une telle menace planer au-dessus de Darconia. Si les glaçons étaient effectivement leurs ennemis, ils devraient agir en conséquence. Mais, dans un premier temps, il fallait s'assurer de leurs intentions, mais également de leurs nombres.
Pour sa part, Zakuya fulminait. Pourquoi ne l'écoutait-on jamais ? Elle avait eu beau affirmer qu'il l'avait sauvée, ils ne prenaient pas cette donnée en considération. Contrariée, elle salua son paternel se retirant avant de prendre congé à son tour. Pourtant, à sa grande surprise, alors que de ses longs doigts fins elle enserrait la poignée de la porte, la voix sereine de son frère l'interpella. Non pas pour la réprimander de son entrée outrancière et déplacée, mais pour lui révéler son opinion.
"Père a raison, Petit Rayon de Soleil. Nous ne pouvons point attendre et voir s'ils nous attaquent.
- C'est ridicule, Zeshin ! Pourquoi le feraient-ils maintenant ? Pourquoi pas avant ? Je pense plutôt qu'ils nous préservent de ces monstres. Ils sont les seuls à pouvoir supporter le climat rigoureux de cette montagne.
- Nous ne pouvons pas nous contenter de si peu. Il nous faut des preuves concrètes. Et puis, pourquoi t'avoir caché des autres si leur but est effectivement de nous protéger ?
Mince ! Il marquait un point pourtant au fond d'elle, une petite voix lui criait que Zeshin se trompait. Oui, tout comme leur père, il se méprenait sur les intentions du dragon de glace. Sans prendre la peine de répondre à son aîné, Zakuya s'éloigna d'une démarche aussi rapide que gracieuse jusqu'à recouvrer l'intimité de sa chambre.
Là, elle se campa devant la fenêtre et admira le jardin recouvert d'un manteau immaculé. Tout était si blanc... Elle soupira, sourit en voyant son jumeau rouler une énorme boule de neige. Vivement, elle ouvrit. Aussitôt le vent frais caressa son visage, semblant lui chuchoter des mots étranges, des mots qu'elle seule comprenaient.
Lentement, la princesse leva les yeux vers le pic enneigé et pour elle-même :
- Ryu..."
Tel était son nom. Un nom qu'elle n'oublierait pas de sitôt se promit-elle.

Ses pieds s'enfonçaient dans la poudreuse gémissant sous ses bottes de fourrure. Il progressait calmement dans les plateaux enneigés. Sa mission du jour comme tous les précédents et les futurs : trouver de quoi sustenter son peuple. Il était accompagné d'une dizaine d'hommes tous armés d'un arc de bois. Tous, sauf lui, qui le façonnait au moyen de son pouvoir.
Après une bonne heure de marche, le dragon pivota vers ses compagnons et donna des directives. Il forma plusieurs groupes et leur assigna des secteurs spécifiques. Personne ne trouvait à redire et se conforma aux ordres de leur chef. Car oui, ce petit gars tout juste âgé de seize ans était le chef des chasseurs de son clan. Il était le plus doué au tir à l'arc, mais également pour pister ses proies.
Se grattant la nuque en regardant le trio s'éloigner, il exhala un énorme soupir avant de pivoter vers ses amis de longue date : Darco et Kadar. Quelque peu plus vieux que lui, les deux hommes suivaient et accompagnaient Ryu dans chacun de ses déplacements. Darco était une montagne de muscles et bien plus grand que les deux autres. Kadar, pour sa part, se révélait plus petit, même s'il possédait un physique des plus avantageux. Tous deux, comme tous les dragons de glace avaient de longs cheveux d'un blanc pur. Tout le monde ? Non, pas vraiment puisque Ryu voyait les siens ornés d'une mèche mauve. Infime détail qui avait son importance aux yeux de son peuple et qui lui avait toujours pourri l'existence.
"Compte pas te débarrasser de nous comme la dernière fois, lança Kadar en ricanant.
- Ouais, on te lâchera pas. On veut pas se faire incendier, figure-toi, surenchérit Darco. T'es une plaie quand tu n'en fais qu'à ta tête.
Ryu les gratifia d'un large sourire. L'un de ceux qui semblent vous dire qu'il se fout de vous. Sauf que là, c'était bel et bien le cas. Le jeune homme étouffait sous la surveillance de ces deux-là. Et pour cause, c'était à peine s'il pouvait aller se soulager sans qu'ils l'accompagnent ! Mais hors de question cette fois pour ses deux comparses de se laisser berner par ce gamin ! Alors avant même qu'il ne leur fausse compagnie, Kadar lança une corde sur son chef et l'immobilisa.
- Vous êtes sérieux, les gars ? fit Ryu, dépité.
- Tu nous fileras pas entre les doigts, cette fois, plaida Kadar. On se fait toujours engueuler par Nox à cause de toi. Si tu veux être seul, vois ça avec lui et pas pendant les parties de chasse.
- Nananana, singea Ryu avec agacement. Vous êtes lourds."
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