Chapitre 5 : Le retour de la princesse Zakuya

D’une tape sur la tête, Darco le sermonna.

 

« Crétin ! Ryu dit toujours qu’une bonne information nous assure la meilleure des victoires. Donc, on se renseigne. En plus, tu sais bien que si on rentre au village sans Ryu, Nox nous étripera. »

 

Se taisant de nouveau, les deux hommes suivirent le dragon des yeux tout en se mettant doucement en chemin. Il était inconcevable d’abandonner Ryu aux mains des usurpateurs !

Le palais était plongé dans la tourmente. La panique suintait par tous les pores de chaque personne y résidant. Et on jurerait également que les murs tremblaient tant l’inquiétude dévorait la famille royale ainsi que ses domestiques.


Voilà des heures que la princesse Zakuya avait disparu. Envolée ! Au début, bien que vaguement anxieux, les gardes s’étaient contentés de fouiller l’enceinte du château, puis la ville. Il était, après tout, habituel pour l’adolescente de se réfugier quelque part dans le seul but de se goinfrer à l’abri des sermons de sa tante Suki.


Hélas, ils déchantèrent bien vite lorsqu’au repas de midi, pourtant d’une ponctualité sans reproche dès lors qu’il s’agissait de nourriture, elle brilla par son absence. En constatant que sa fille unique demeurait invisible, le roi Ryuma paniqua aussitôt. Souffrait-elle d’une maladie quelconque ? Était-elle partie se promener avant d’avoir un accident ? Peut-être même une mauvaise rencontre. Les causes se montraient bien trop nombreuses.


Et suivant une analyse similaire, les frères de Zakuya mirent en place des recherches. À leur tête, répartissant les zones d’investigations : Zeshin. Où était-elle passée ? Il s’inquiétait viscéralement. Toutefois, cela se révélait atypique, pour elle, de disparaître sans laisser la moindre indication. Et l’hypothèse d’un kidnapping fut vite écartée tant la sécurité au palais s’avérait des plus ardues.


Enfermé dans son bureau, ne pouvant pas, tout comme ses cadets, quitter le château et ses fonctions, il faisait les cent pas. Impossible de se concentrer. Le fil des heures ajoutait du poids d’inquiétude croissante. À chaque entrée dans son cabinet de travail, il sentait son organe vital bondir dans sa cage thoracique, aspirant, non seulement, à voir son petit rayon de soleil l’honorer de sa présence, mais aussi la bonne nouvelle qu’elle allait bien.


Hélas, à chaque fois, que cela se soit agi des gardes royaux, ou de ses frères — aucun ne lui donna l’information tant espérée. Ce fut même tout le contraire. Zakuya avait disparu. Envolée !


Muets, le cœur étreint douloureusement dans un étau de fer, les princes ainsi que leur géniteur, gardèrent le silence. Incapables de prononcer un seul mot, ils demeurèrent prostrés, tête baissée. Pourtant, cela ne leur ressemblait point de se laisser abattre de la sorte, mais là… C’était l’unique fille de la fratrie ! Leur petit rayon de soleil !


Tout à coup, des cris retentirent suivis aussitôt par un énorme vacarme. Les murs tremblèrent, les vitres vibrèrent comme si elles voulaient éclater. Qu’est-ce qu’il se passait ? On les attaquait ?


Sans plus attendre, Zang se rua à la fenêtre, interdisant à son aîné ainsi que son père de s’en approcher. Il coula un regard fugace à l’extérieur afin de découvrir la réelle raison de tout ceci.

 

« Zakuya !!! »

 

Le cri retentit aussi sec alors qu’il ouvrait les battants aux carreaux transparents et bondissait dans les jardins. C’était après tout bien plus rapide que courir dans les divers étages et dévaler les escaliers.


Surpris, Ryuma et ses fils marchèrent calmement vers la fenêtre. Zeshin plissa les yeux. Oui, il s’agissait bien de sa sœur, et elle venait de s’écraser sous sa forme animale dans la cour. Pourquoi… ? Il la vit prendre appui sur l’une de ses pattes, cherchant à se redresser avant de s’écrouler de nouveau.


Que se passait-il ? Elle était blessée de toute évidence. Vif d’esprit, comme toujours, Zeshin tourna les talons et contrairement à Zang, il emprunta la porte d’entrée aux côtés de son père. Pourtant, en s’approchant de la dragonne de la nature, un froid intense les frappa. D’où venait-il ? Zeshin fit un pas encore lorsque Zang lui hurla de ne pas avancer davantage. Étonné par l’ordre inhabituel, le prince héritier contourna Zakuya qui bougea légèrement la tête pour le regarder. Elle souffrait comme l’indiquait l’éclat de ses grands yeux gris. La source de ce courant d’air glacial effroyable demeurait énigmatique, mais il était incontestablement à l’épicentre de ce phénomène. C’était comme s’il se dégageait de Zakuya elle-même.


Ce ne fut que lorsqu’il rejoignit Zang qu’il avisa d’un corps masculin, nu dans son intégralité et blessé, entre les griffes affûtées de Zaza qu’il comprit. Il constituait l’origine du problème ! Promenant son regard acéré sur la dragonne et le jeune homme, il nota mentalement qu’autour d’eux tout était gelé. L’air ambiant lui-même se mua en un manteau glacial, effaçant toute trace de la douceur printanière. Sous son vêtement, les poils de ses bras se dressèrent, signe indéniable de la fraîcheur environnante.

 

« On doit la sortir de là, et vite. Les êtres qui, comme elle, possèdent le don de la nature sont extrêmement vulnérables aux basses températures, et ce gars émet un froid monstrueux.

 

Mais pouvait-il s’approcher sans risque ? En y réfléchissant, il se révélait être indubitablement l’unique personne à en avoir la capacité. En qualité de dragon d’eau, Zang subirait sans conteste un sort identique à celui de Zakuya s’il osait s’aventurer au plus près d’un tel froid. Peut-être qu’un type feu pourrait faire la différence, mais il n’en avait pas l’assurance pour autant. Et lui, en tant que reptile d’acier, il les surpassait tous en résistance. Peut-être que ses écailles parviendraient à le préserver un tant soit peu ?


Il s’apprêtait à tenter sa chance lorsqu’une voix s’éleva depuis l’entrée.

 

— Non ! Ne t’approche pas ! C’est dangereux !

 

Dangereux ? Merci ! Ça, il l’avait remarqué. D’ailleurs, Zaza en faisait les frais à cet instant précis.

 

— Je sais. Mais, Zaza souffre, et je ne peux même pas vérifier son état, souligna Zeshin.

 

— Les flux magiques sont chamboulés à cause de lui. Le froid qui se dégage de sa personne n’est pas un courant glacial ordinaire.

— T’es en train de dire qu’on doit laisser mourir notre sœur ? s’insurgea Zang avec colère.

 

— Non. Bien sûr que non, fit Zuko en les rejoignant d’un pas alerte. Il demeure inconscient et ne semble pas pouvoir maîtriser le pouvoir en lui. Il faut le sceller. » d

 

Le sceller ? Sérieusement ? Zeshin s’apprêtait à arquer qu’il y avait sans doute une autre solution. Il y en a toujours une après tout. Seulement, comme leur expliquait Zuko en cet instant précis, tout en glissant des pierres magiques entre les mains, le temps jouait contre eux et chaque seconde passée à déblatérer poussait leur précieuse sœur vers l’au-delà.


Sans protester, Zeshin suivit les conseils avisés de son jeune frère qui leur enjoignit avec fermeté de se positionner de manières bien spécifiques. En second lieu, il se plaça à son tour de manière à ce qu’une fois tous réunis autour de la scène gelée, ils ne forment plus qu’un cercle.


Zuko entama par la suite une incantation des plus complexes tout en accomplissant des gestes particuliers que le groupe imita. Zeshin ne quittait pas son cadet du regard si bien que lorsqu’il le vit insuffler son énergie reptilienne dans la pierre, il agit de concert. Face à cela, le reste de la fratrie calqua ses actions sur celles du meilleur magicien du royaume : le prince Zuko tout juste âgé de seize ans.


Discret, presque invisible en temps ordinaire, il se distinguait néanmoins par ses aptitudes magiques ainsi que dans sa lecture des flux. Sa maîtrise de cet art rivalisait avec le plus ancien et le plus célèbre des sorciers de tout Darconia. Alors, autant dire qu’au vu de sa précocité dans ce domaine, on le qualifiait de « petit génie ».


Et alors que la souffrance engendrée par sa timidité le rongeait chaque jour davantage. La joie d’apporter enfin une aide précieuse à ses aînés irradiait en lui. Il prouvait sa valeur et son talent, sans compter qu’il espérait ainsi sauver sa jumelle.


Tout se déroulait à la perfection jusqu’à ce qu’il dépose la pierre sur le sol et commença à dessiner un étrange symbole dans la poussière, autour de Zaza et de l’inconnu. Plissant les yeux, Zeshin suivit le tracé avant de pâlir légèrement. C’était de la folie ! Zuko se frottait à un pouvoir considérable et user de cette magie pouvait dans le pire des cas prendre sa vie. Les arts divins ne devaient en aucun cas être sous-estimés !


Il voulut ouvrir la bouche, mais aucun son ne passa la barrière de ses lèvres. Au plus profond de son être, malgré la terreur viscérale qu’il éprouvait à l’idée de perdre Zuko, Zeshin était intimement convaincu que c’était là l’unique solution qui s’offrait à eux.


Priant pour que tout se déroulât au mieux, il abaissa les paupières se laissant porter par le courant magique qui virevoltait autour d’eux. Le froid intense qui régnait jusqu’à présent parut s’estomper pour finalement totalement disparaître.


Ce ne fut que lorsque Zuko cessa de déblatérer des mots sans suite issus de la langue des dieux qu’ils prirent conscience que tout était fini. La fatigue se lisait sur les traits juvéniles du prince Zuko qui par fierté refusa de plier le genou.

 

« Vite, Zeshin… J’ai scellé le pouvoir de ce type. Mais, Zaza est peut-être grièvement blessée.



Inutile de le lui dire, s’insurgea intérieurement le vert en s’accroupissant devant les corps inertes. Il écarta l’homme de sa jeune sœur avant de se concentrer sur elle. Avec une tendresse infinie, il lui caressa le museau. Toucher délicat qui suffit pourtant à éveiller la dragonne. Un regard trouble se fixa sur l’héritier du trône.


— Sauve… le, Zeshin… S’il te… plaît. Il a été blessé en me protégeant.



Message télépathique qui permit à Zeshin de mieux comprendre la situation, même si la colère grondait en lui. Comment avait-elle pu ainsi se risquer sur les cimes enneigées sans escorte et sans prévenir ? Elle méritait un sermon et une sanction. Enfin, pour le moment, son état demeurait préoccupant. Elle était, de toute évidence, trop affaiblie pour parvenir à recouvrer une apparence humaine par elle-même.



— Zang, emmène cet inconnu à l’infirmerie. Mit se chargera de lui. Prends également Zuko avec toi. La magie dont il vient de faire usage a dû l’épuiser. »

 

Sans compter que les conséquences de cette utilisation promettaient de provoquer bien des problèmes diplomatiques avec le royaume de Célestia. Enfin, ce n’était pas comme s’ils entretenaient une relation cordiale, mais il avait en tête de prévenir tout conflit superflu. Et là… Zuko risquait fort d’être accusé de voler leurs connaissances. En tout cas, ce savoir venait peut-être de sauver Zaza. Alors c’était un prix qu’il était disposé à payer et sur lequel il soutiendrait férocement son cadet.


Sans une once d’hésitation, il appuya à la base de la nuque du dragon immense et vert. Zeshin aida, par ce geste, Zakuya à recouvrer son apparence de jeune fille. Sans tergiverser davantage, il l’ausculta au plus vite. Son premier examen révélait un tableau peu réjouissant, néanmoins elle survivrait. Avec une infinie douceur, il la souleva entre ses bras et prit à son tour la direction de l’infirmerie.

Quelques jours plus tard, Zakuya avait retrouvé son énergie et se remettait difficilement de sa blessure. En réalité, ce n’était guère plus, mais plutôt une engelure. Sa peau de dragonne de la nature avait été brûlée par le froid. Fort heureusement, grâce à la magie et au savoir de Mit et Zeshin, elle n’en gardait qu’une maigre cicatrice. Cependant, parfois, une douleur s’éveillait et irradiait tout son bras. Mais, à ses yeux, c’était un faible prix à payer pour celui qui lui avait épargné une mort des plus cruelles. Au moins, son fantasme d’enfance perdurait encore, sans omettre qu’à présent, ils détenaient tous un témoignage irréfutable de l’existence des dragons de glace.


Néanmoins, elle fulminait. En ramenant son sauveur au palais, elle ne s’imaginait pas une seule seconde qu’on l’empêcherait de l’approcher. De plus, malgré ses nombreuses excursions à l’infirmerie, Mit la renvoyait instantanément.


Toutefois, cela ne suffit point à la décourager, bien au contraire. Telle la gourmande qu’elle était, son entêtement ne faiblissait pas. Et plus on se butait à lui refuser une visite de courtoisie et plus elle aspirait à le rencontrer. Après tout, cet homme lui avait sauvé la vie, et quelque chose en elle lui soufflait que c’était déjà lui le dragon de la dernière fois.


Déambulant dans le parc à l’arrière du palais, elle leva les yeux vers le premier étage. Un sourire étira ses lèvres fines et dépourvues de tout artifice. Avec une délicatesse mesurée, elle s’accroupit pour effleurer du bout des doigts les brins d’herbe, tout en murmurant des mots indistincts. Aussitôt, obéissant à son appel, une pousse sortit de terre et grossit à vue d’œil. Sans hésiter, elle s’agrippa à cette dernière. C’était aussi simple que cela, songea Zakuya, quand inopinément, un rayon de lumière balaya Darconia. Le sol trembla, les vitres vibrèrent dangereusement sans jamais se briser.


Un sombre pressentiment la gagna tandis que ses prunelles argentées repérèrent le jeune homme endormi et perfusé dans son lit à travers la fenêtre. Claquant de la langue quelque peu agacée, elle bondit de son perchoir. Il se tramait quelque chose et cela l’inquiétait, car elle savait sans peine que les visiteurs se profilant déjà aux portes du château étaient porteurs de mauvaises nouvelles.


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