Chapitre 5 : L'énigme faite femme

Tendant la main, il attrapa alors une couverture abandonnée sur le dossier et en recouvrit le corps de la blanche avant de regagner sa place. L’observant, il laissa ses pensées dérivées, examinant ce qu’il savait de cette femme au visage angélique.
Enfermée dans un bloc de glace, elle ressemblait en tout point à un être humain. Mais l’était-elle seulement ? Law avait analysé son sang des dizaines de fois en tentant d’identifier une anomalie génétique qui demeurait jusqu’alors un mystère.
Mais, il y avait aussi le regard rouge vif qui avait brillé plus tôt dans les yeux de cette étrangère. L’espace d’un instant, il avait senti le danger qu’elle représentait pour lui, avec chaque fibre de son être, tout en se laissant absorber par les prunelles carmin. Il n’avait pu que penser à quel point elles étaient belles.
Alors qu’il ramenait ses billes argentées sur la silhouette assoupie, cette dernière bougea en douceur, émettant un léger soupir avant de s’éveiller totalement. Towa se frotta mollement les yeux du dos de sa main, puis regarda autour d’elle, encore un peu endormie.
Ce ne fut que lorsqu’avisant le capitaine de cet étrange navire qu’elle réalisa qu’une couverture avait été déposée sur son corps. Était-ce l’œuvre de Ban ou celle de ce grand brun aux allures de mauvais garçon ? Aucun des deux ne pipait mot se contentant de se dévisager, ce qui mit un terme à ce duel silencieux. Un ventre criant famine rappelant à la blanche qu’elle n’avait encore rien avalé.
Un sourire sardonique aux lèvres, Trafalgar l’invita à se restaurer sans toutefois lui tendre le plateau. Non, les bras sur le dossier de la banquette, il s’amusait à observer chacune de ses actions. Sans dire un mot, elle se leva et alla s’installer près du ténébreux, dévorant le contenu du plateau. Ce ne fut que lorsqu’elle eut terminé que Trafalgar, qui avait jusque-là sagement attendu son tour, se décida à lui rappeler certains points.
« Je suis le capitaine i…
— Sans rire ? Je ne l’aurai jamais deviné, le coupa-t-elle moqueuse.
— La prochaine fois que je te donne un ordre, tu l’exéc…
Se tournant vivement vers lui, elle posa un doigt sur ses lèvres, le réduisant au silence avant d’annoncer le plus naturellement du monde :
— Rêve pas, mon gars. Je partirai à la première occasion.
À ces mots, énoncés avec une pointe de défi dans la voix, Trafalgar se fendit d’un sourire en coin. Comme s’il allait la laisser agir à sa guise. Elle semblait oublier qu’il était celui l’ayant sorti de ce bloc de glace, et de ce fait, elle était sa propriété. Il ne la laisserait partir que lorsqu’il aurait obtenu toutes ses réponses, et soumise à tout un bataillon d’examens.
Toutefois, inutile de polémiquer sur le sujet pour le moment. Elle se rendrait vite compte que ce qu’il exigeait, il l’acquérait, d’une manière ou d’une autre. L’espace d’un instant, les fronts se touchèrent presque, deux volontés s’affrontant dans l’air électrique de la vigie. Un sourire narquois ourla les lèvres de Trafalgar Law tandis que ses yeux cendrés étincelaient d’une lueur tranchante, aiguisée par l’affrontement silencieux de leur duel d’exigences. Mais la détermination indomptable de Towa, celle d’une créature sauvage tendue vers sa libération, ne vacillait pas.
Ses gestes, bien que précis et maîtrisés, ne trahissaient aucune de ses pensées alors qu’elle reposait la vaisselle vide sur le plateau d’argent. Elle se leva, ses sens pleinement éveillés et méticuleusement ajustés à chaque mouvement du capitaine. Toute trace de somnolence chassée par leur joute verbale s’était évaporée, laissant derrière elle une femme alerte, prête à relever chaque défi qui se dresserait sur sa route.
La tension de leur échange se dissipa faiblement lorsque Law eut un léger haussement d’épaules, presque nonchalant, comme s’il acceptait le jeu auquel ils se livraient tous les deux.
— Bien, Towa Eien D Nochi, fit-il d’une voix basse et taquine, te tenir sera donc semblable à tenir un serpent par la queue… Mais ne sous-estime pas la compétence d’un chirurgien habile à manipuler des choses dangereuses.
Ses mots étaient empreints d’une assurance tranquille, d’une confiance en soi qui fronça doucement les sourcils de Towa.
— Si tu penses pouvoir me contenir avec tes tours, je t’invite à y réfléchir à deux fois, rétorqua-t-elle, le regard piquant, tandis qu’une brise de défi sifflait entre eux.
Law, debout dans toute sa hauteur intimidante, se contenta de faire glisser ses doigts sur le pommeau du nodachi qu’il avait à son côté. Son sourire semblait dire qu’il avait déjà envisagé toutes les éventualités, et que lui non plus, n’était pas un adepte de l’échec.
Sans un mot de plus, le capitaine remit le plateau à sa place originelle et s’apprêta à quitter la vigie, confiant que la blanche l’imiterait, si ce n’est par soumission, du moins par curiosité.
En effet, la logique l’emporta sur l’obstination de Towa, et elle se décida à suivre le capitaine au travers des couloirs éclairés par un éclat bleuté, reflet du monde océanique qui les entourait. Finalement, ils parvinrent devant une porte massive, finement sculptée de motifs marins, gardée par deux membres de l’équipage qui leur jetèrent des regards respectueux, mais interrogateurs.
— Ce sera ta cabine tant que tu resteras à bord du Polar Tang, expliqua Law, en ouvrant le battant.
À l’intérieur, la pièce était spacieuse. Un large hublot offrait une vue constante sur l’océan, tandis que le lit supplicié se dressait au centre, semblable à une île de confort dans un océan d’acier. Des étagères contenant livres et cartes nautiques ornaient les parois, et une multitude d’artefacts étranges étaient disséminés à travers la pièce, trésors capturés lors des nombreuses escales de l’équipage.
Towa pénétra dans la cabine avec une légère hésitation, la prudence dansant dans ses yeux émeraude. Elle posa délicatement un pied après l’autre, effleurant le bois poli du sol comme pour en tester la solidité.
— Ne t’imagine pas pouvoir prendre la mer à la nage, lança Law sans se retourner, sûr de lui.
Elle haussa les épaules, un sourire en coin lui échappant malgré la tension qui bourdonnait dans l’air.
— Tu sembles bien sûr de toi. Mais sache que l’eau ne me fait pas peur. »
Tarissant la conversation, Law referma la porte derrière lui, abandonnant Towa face à ses pensées tumultueuses. La souveraineté aussi bien revendiquée que tempérée par la présence invisible du chirurgien de la mort laissait présager un jeu du chat et de la souris auquel il lui faudrait se plier.
Le cœur battant avec force, mais Towa était désormais captive de ce sous-marin aux allures de monde à part, caché dans les profondeurs du grand océan. La solitude et la réflexion seraient dorénavant ses compagnons le temps qu’un plan de fuite prenne forme dans son esprit aussi vif que l’eau claire. Mais pour l’instant, elle devait se tenir prête à jouer le jeu du chirurgien — un jeu dont les règles n’avaient pas encore toutes été révélées.

Leur jeu tacite continuait alors que les jours se succédaient, chacun marquant un nouvel épisode de leur affrontement silencieux. Towa, intégrée malgré elle dans l’équipage du Heart, ne laissait rien paraître de ses projets d’évasion, concentrée sur la moindre occasion de liberté. En tant que capitaine et maintenant enseignant de facto, Law avait décidé qu’il était temps pour Towa de se familiariser avec le présent. Un présent qui, pour elle, ressemblait plus à un futur lointain et fantaisiste.
« C’est pathétique, avait-elle déclaré d’une voix traînante, les bras croisés alors qu’elle se tenait dans la bibliothèque personnelle de Law, une pièce impeccable et bordée de rayonnages qui semblaient frémir sous le poids des connaissances. Tu crois vraiment que j’ai que ça à faire, d’écouter tes baratins sur ton monde ?
Law tourna lentement les pages d’un atlas historique, montrant différents empires qui avaient façonné la planète, répondit par des railleries à chacune de ses assertions.
— Il serait temps que tu comprennes l’ère dans laquelle tu t’es réveillée, Towa, répliqua-il sans quitter l’illustration des yeux, sa voix teintée d’un léger amusement. La société a beaucoup changé pendant ton sommeil.
Il s’attendait à la voir bouder ou même déserter la pièce, mais à sa surprise, elle s’approcha, intriguée malgré elle par les cartographies colorées. Elle posa un doigt sur une île au climat tropical.
— Et ça ? Ça existait déjà avant ?
Son intonation révélait un intérêt authentique, pour la première fois depuis leur rencontre.
S’adossant contre la table ronde en bois, le capitaine se pencha vers la carte.
— C’est une île qui a résisté à bien des conflits et des ères. Tu vois, le monde a toujours été régi par les luttes de pouvoir, la recherche incessante de territoires et de richesses. Mais ce qui a vraiment tout changé…
Il s’interrompit, l’observant attentivement.
Ce moment d’hésitation suffit à piquer la curiosité de Towa.
— Quoi ? Qu’est-ce qui a changé ?
Law tapota légèrement sur l’atlas, esquissant un sourire à la fois discipliné et complice qui éclairait son visage.
— L’avènement des Den Den Mushi, une forme de communication transocéanique ; la démocratisation des voyages aériens grâce aux ballons de mer ; l’utilisation des Dials issus de l’île Céleste pour améliorer la qualité de vie au quotidien. Et tout cela sans parler des nouveautés militaires et…
Il poursuivit, exposant des choses que, Towa était forcée de l’admettre, dépassaient de loin sa compréhension. Elle connaissait un monde dominé par les sabres et les échanges à voix portée, pas ces petites créatures ressemblant à des escargots qui murmuraient des messages d’un bout à l’autre du monde.
Au fil des explications, quelque chose se détendit en elle. L’impatience habituellement claire dans son regard céda la place à une reconnaissance réticente. Scrutant les innovations technologiques et écoutant les récits des guerres qui avaient redessiné les frontières, elle comprit qu’elle devait apprendre de ce monde pour mieux s’y frayer un chemin, pour mieux s’y échapper.
Law observait attentivement sa transformation, analysant minutieusement les fluctuations subtiles de son expression. Il savait que l’information pouvait être une arme, et il venait de la remettre à cette femme aussi énigmatique qu’imprévisible.
Après des heures d’enseignement, Towa se leva, étirant ses bras en un bâillement déguisé.
— Bon, je suppose que je devrais te remercier pour le cours d’histoire.
Law hochait la tête, son regard acéré suivant la cadence nonchalante de ses mouvements.
— N’oublie pas, Towa ! Même le serpent le plus agile a besoin d’un guide pour se frayer un chemin dans la jungle.
À ces mots, elle répondit simplement par un sourire énigmatique.
— Et qui sait ? Cette jungle pourrait s’avérer moins redoutable que le guide lui-même. »
Avec cette réplique espiègle, elle sortit de la bibliothèque, laissant Law seul avec ses pensées.
La leçon était terminée pour aujourd’hui, mais le jeu, lui, ne faisait que commencer.

La brise légèrement parfumée de l’île printanière caressait les visages des membres de l’équipage des Hearts alors qu’ils s’amassaient sur le pont supérieur du sous-marin, émergé pour l’occasion. L’île surgissait de l’océan comme un joyau, ses flancs couverts de prairies émeraude et de forêts feuillues où éclataient ici et là les touches vives des fleurs sauvages. Des falaises abruptes encadraient ce tableau bucolique, leurs sommets couronnés de verdure dévalant en cascades jusqu’aux plages de sable doré, où les vagues venaient mourir avec douceur.
Les yeux de Towa étaient fixés sur l’île qui lui paraissait étrangère et pourtant accueillante. Pour elle, c’était un spectacle à la fois nostalgique et nouveau, témoin d’un monde qui avait continué sa rotation en son absence. Elle tentait d’absorber chaque détail, chaque teinte, chaque mouvement. L’île était une toile vivante et complexe qui lui rappelait sa liberté perdue et en même temps l’espoir d’un avenir non encore écrit. Les landes fleuries lui donnaient le désir d’y courir, pieds nus, et de redécouvrir les sensations oubliées de l’herbe sous ses pas et du vent dans ses cheveux blancs.
« Ça fait un bail qu’on n’a pas vu un printemps aussi joli, hein Capitaine ? » commenta Penguin avec un sourire expansif, ses yeux mi-clos reflétant la sérénité de l’île.
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