Chapitre 8 : En quête d'informations

Dans un silence de plomb rompu uniquement par le bip régulier d'un électro-encéphalogramme, le chirurgien de la mort s'activait autour d'une table d'examens. Ou plutôt d'autopsie en l'occurrence. D'un geste lent, il recouvrit le corps inerte et maculé de sang d'un drap. Il jeta négligemment les divers outils chirurgicaux sur la tablette à roulettes. Les compresses et cotons souillés trouvèrent, eux, le chemin de la corbeille.
Sans qu'il ne puisse rien y faire pour contrecarrer les projets sordides de la Faucheuse, Trafalgar validait le décès de son patient. Cela arrivait parfois que malgré ses connaissances et ses aptitudes, une existence s'éteignait. C'était la vie. Il le savait pertinemment. Après tout, le nombre d'êtres fauchés à la semelle de ses chaussures ne cesserait jamais de croître.
"Louis !
Au cri strident écorchant ses oreilles, le chirurgien de la mort glissa un coup d'œil furtif par-dessus son épaule. Minako venait de se réveiller.
Minako. Il ne connaissait d'elle que son prénom ainsi que la vie qu'elle menait avant leur rencontre. Il ne l'affectionnait point particulièrement et se contentait de tenir un engagement pris auprès d'un enfant en couches-culottes. Songeant à la petite tête blonde, Law se rembrunit quelque peu. Le poids d'une mort pesait malgré tout sur ses épaules. Bien qu'il n'en laissât rien paraître, le décès de Liam lui laissait un goût amer. Il n'avait point désiré une telle chose. Par ses actions, il visait uniquement à répondre au souhait d'un fils aimant. Pourquoi avait-il fallu qu'il s'entête à les suivre dans les mines ?
Il n'oublierait jamais sa fin tragique ainsi que le désespoir de Minako à ce moment-là. Elle avait hurlé à pleins poumons, s'était débattue comme une enragée à tel point qu'il avait été contraint de la réduire au silence.
- Comment... va Louis ? », s'enquit la jeune femme en s'approchant du pirate.
À quelques pas derrière lui, les pupilles émeraude ne lâchaient pas le drap maculé de sang. À cet instant, son cœur cognait à tout rompre dans sa poitrine. La crainte d'entendre le capitaine des Hearts lui annoncer sa mort la tétanisait.
- J'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir."
Il énonça ces quelques mots d'un ton neutre, indifférent. Le regard vert vogua du Roger dans le dos de Trafalgar au corps invisible. Elle déglutit péniblement. Ses yeux la brûlèrent. Louis... Non, ce n'était pas possible. D'un autre côté comment Law aurait-il pu sauver le vieil homme de ses multiples blessures ? Sans compter que la perte de sang se révélait conséquente. Et comme un fait exprès, à ce moment précis, un bras retomba et apparut aux yeux de la jeune femme.
Mue par un élan qu'elle seule comprenait, elle se précipita vers le corps sans vie. Les larmes coulaient sur ses joues sans que rien ne puisse les tarir.
Le ténébreux la regarda faire, mitigé. Minako ne partageait aucun lien particulier avec son chef mécanicien. Alors pourquoi pleurait-elle ainsi ? Certes, cela n'équivalait en rien au chagrin de perdre son petit garçon ; mais tout de même. Louis demeurait un étranger pour elle.
De plus, son attitude le sidérait encore. N'avait-elle rien appris de leur rencontre ? À cause de lui, de ce face à face, son avenir semblait bien sombre. En effet, le gouvernement mondial la qualifiait de criminelle pour son aide au chirurgien de la mort. Alors que dans les faits, il l'avait quand même menacée. Comment aurait-elle pu se braquer et s'opposer à lui ? Et malgré cela, elle s'était interposée entre Louis et son assaillant. Nul doute qu'à ce moment précis, Minako le savait. Elle ne faisait guère le poids. Était-ce son cœur tendre qui la poussait immanquablement à risquer sa vie pour autrui ?
Elle pleurait encore lorsque la porte pivota sur ses gonds. Owen s'avança dans la pièce. Il avisa de la tête rousse accrochée au cadavre et arqua un sourcil tout en se tournant vers son supérieur. Il lui remit le dossier médical entre ses mains et commença :
"J'ai noté le traitement demandé de Louis et...
- PARDON ?! se récria Minako en levant les yeux vers les deux hommes.
Comment ça : « le traitement de Louis » ? Ne reposait-il pas sur cette table d'examen ? Au sourire sardonique du chirurgien de la mort, elle réalisa sa méprise. Et ce salopard se jouait d'elle à ses dépens !
Sans plus attendre, elle tira sur le drap et découvrit une vision qu'elle ne s'imaginait point voire un jour. L'intrus ayant manqué de lui arracher la vie se trouvait là, dans un triste état. Que s'était-il donc produit ?
- Vous... vous l'avez tué..., souffla la jeune femme.
- C'est là, l'essence même d'une existence de pirate. Je prends des vies en luttant, pas en sirotant une tasse de thé.
- Épargnez-moi vos sarcasmes ! Vous auriez pu...
- Te le dire ? Coupa Law, un sourire en coin. Pas ma faute si tu te complais à sauter sur des conclusions hâtives.
Minako fulminait. Elle se jurait mentalement de se venger. Il avait dû bien rire intérieurement de ses larmes. Vexée, elle se redressa, le gratifia d'une œillade assassine avant de quitter la pièce. En sortant, elle prit grand soin de claquer la porte.
Owen la suivit des yeux, décontenancé, par cette situation. Law n'était pourtant pas très connu pour les petites taquineries.
- Quoi d'autre ?
La voix sentencieuse du chirurgien de la mort le rappela à l'ordre. L'assistant s'empressa de lui tendre une feuille de papier. Law l'examina. Il identifia le symbole que l'homme ainsi que les nombreux autres assaillants arboraient à un endroit de leurs corps.
Il n'avait encore jamais vu cette marque et sa curiosité titillée, l'encourageait à enquêter sur le sujet. Il le rendit à son subalterne et ordonna :
- Contacte nos informateurs et vois ce qu'ils dénichent. Je préfère savoir à qui j'ai à faire.
Owen opina du chef avant d'aviser l'enveloppe de chair. Ces hommes appartenaient à un groupe ou un équipage inconnu. Il espérait obtenir rapidement des informations tout comme leur supérieur. Néanmoins, une chose le tracassait encore et il ne tarda point à questionner son capitaine.
- Comment va, Minako ?
- Elle ne souffre d'aucune blessure grave. Juste quelques bleus et une bosse.
- Je ne parle pas de cela.
Law comprit les réelles inquiétudes de son bras droit à l'infirmerie et s'empressa de lui révéler ses constatations. Minako pâtissait d'une perte lacunaire de la mémoire. Effectivement, à la suite du traumatisme subi - celui d'assister à la mort de son fils-, son cerveau ait décidé de la protéger en excluant cette partie de ses souvenirs encore bien trop douloureux et vivaces pour qu'elle puisse y faire face.
Cependant, Trafalgar, tout comme Owen, connaissait le danger que cette situation représentait. La mémoire pouvait lui revenir à tout moment et dans ce cas précis ; comment réagirait-elle face au capitaine ? Ils doutaient tous deux qu'elle lui accorde le pardon.
- Elle ne se remémore toujours pas ?
- Non. Et j'aime mieux cela.
- Je comprends. Comptez-vous le lui dire lorsque vous la déposerez sur la prochaine île ?
La question était énoncée et Law s'empressa de formuler sa réponse. Négative. Bien qu'elle soit en droit de connaître les faits, il se refusait à lui rappeler quelque chose qui la briserait assurément. Au final, il préférait même qu'elle ne se souvienne jamais.
- Mais... elle vivra avec l'espoir de le revoir un jour, capitaine. N'est-ce pas un peu cruel ?
- Pas moins que de le lui ôter."
Il marquait un point. Owen ne trouva rien à répliquer et se contenta d'un vague signe de tête avant de prendre congé.

La journée touchait à sa fin au sein du Polar Tang. Et comme toujours à cette heure, Trafalgar travaillait dans son bureau. Il achevait son compte rendu personnel et rédigeait le journal de bord du jour. Il griffonnait quelques données sur ce groupe d'assaillants avec un énorme point d'interrogation sur leur identité lorsque tout à coup la porte s'ouvrit à toute volée. Quel membre de son équipage ressentait, actuellement, une irrépressible envie de périr ? se demandait le chirurgien tout en redressant le visage. Car bien sûr, l'entrée fracassante dans son bureau n'était pas tolérable et nul au sein du submersible ne l'ignorait.
Toutefois, sa colère fondit comme neige au soleil lorsque Shashi s'immobilisa à bout de souffle devant son secrétaire. À quoi ça rimait ? Il était pourtant celui qui évitait tout esclandre. Le regard torve dont Law le gratifia glaça Shashi d'effroi qui peina à formuler les raisons de sa visite. L'oxygène lui manquait tellement, ses poumons le brûlaient si bien qu'il se résolut à tendre le journal qu'il avait en main.
De plus en plus intrigué, le chirurgien de la mort s'en saisit et le feuilleta calmement. Les premiers articles ne lui apportèrent aucune information qu'il ne savait déjà. Certes, les folies des Mugiwaras faisaient la une, mais il ne s'y attarda pas. D'ailleurs, Shashi brassait l'air d'un mouvement circulaire du bras comme pour lui faire comprendre qu'il devait tourner la page.
Sans un mot, il le feuilleta encore et encore jusqu'à ce que ses prunelles couleur cendre s'arrêtent sur un cliché en particulier. Il représentait le village de Minako, du moins ce qu'il en restait. Il semblait, d'après le journaliste, qu'une avalanche effroyable, causée par une explosion ait rasé tout le village. Il n'y avait aucun survivant. Et comme un fait exprès, mais non sans surprise, le gouvernement leur en incombait la responsabilité. Ben voyons ! se disait le ténébreux tandis qu'il tournait encore la page. Cette fois, il tomba sur les avis de recherches. Il y en avait plusieurs qu'il consulta. Ils concernaient principalement les chapeaux de paille.
"Le... le dernier", balbutia Shashi ayant recouvré un semblant de souffle.
Obtempérant, Law récupéra le serre-file de la pile. À peine ses yeux se posèrent sur le visage de l'affiche fatidique qu'il se renfrogna. Ça lui déplaisait farouchement. Mais à quel point le gouvernement était-il stupide ?
L'unique crime de Minako consistait, en tout et pour tout, dans son assistance à sa personne. De plus, même si après ses menaces, la jeune femme s'était démenée pour l'aider, il n'en demeurait pas moins que son obéissance résultait de contraintes.
Toutefois, ce n'était point là les seules préoccupations du chirurgien de la mort. En effet, cela compliquait ses projets. Et Shashi l'avait également compris : raison pour laquelle il se trouvait devant lui.
Si le gouvernement recherchait activement la petite boulangère, il ne pouvait guère se permettre de la débarquer, comme escompté, sur la prochaine île. La menace encourue par la jeune femme revêtait un caractère capital. Dans ce cas-là, l'abandonner en terre inconnue et livrée à elle-même serait purement et simplement une condamnation à mort.
D'un claquement de langue, il souligna son agacement. Rien ne se déroulait comme prévu ; et autant avouer qu'il exécrait cela.
"Demande à Bepo de rechercher une île hors de contrôle de la marine et tranquille. Nous débarquerons "notre passagère" à ce moment. ; qu'il veille également à ce qu'elle ne soit pas trop éloignée de notre position actuelle.
- Mais, nous suivons le log-pose.
- Une fois la destination établie, je me procurerai un Eternal Pose."
À ces mots, Shashi ne discuta pas davantage et s'empressa de prendre congé avec une consigne précise de plus : ne pas informer Minako de sa précaire situation.

Un vent effroyable soufflait à l'extérieur. Les arbres ployaient sous le poids des bourrasques tandis que des éclairs zébraient le ciel. Le tonnerre, assourdissant, retentissait dans toute la demeure dissimulée au milieu d'une dense forêt. Les vitres vibraient à chaque déflagration et on jurerait qu'elles céderaient d'une seconde à l'autre. Les premières gouttes s'écrasèrent sur le verre poli traçant des sillons dans leur lente descente.
La lueur blafarde des effets lumineux provoqués par dame nature éclairait de temps à autre une pièce plongée dans la pénombre et dans laquelle seul le feu dans la cheminée diffusait un peu de luminosité. Assis en face, dans un confortable fauteuil de cuir noir, un homme tout vêtu de blanc, un ballon à la main sirotait quelques gorgées de vin.
Ses cheveux couleur pétrole, striés de mèches grisonnantes, s'harmonisaient à la perfection avec sa barbe. Ses yeux fins possédaient l'éclat d'un ciel d'été. Le poids des années se lisait sur son visage où quelques rides se dessinaient. Posée contre l'un des accoudoirs, se trouvait une cane de bois et au pommeau d'argent en forme de tête d'aigle.
La porte s'ouvrit derrière lui. Un bruit de pas retentit au milieu du tumulte extérieur pour s'immobiliser à la gauche du fauteuil. L'individu était un vieil homme arborant fièrement un costume de domestique. Ses traits fins contrastaient fortement avec la carrure plus imposante de son employeur. Il s'inclina légèrement en avant et annonça :
"Vos invités sont arrivés, Monsieur.
- Bien, Gregor."
Doucement, il déplia sa haute silhouette et attrapa sa cane et abandonna son verre sur le petit guéridon.
D'un pas lent et assuré, il se dirigeait vers la sortie. Il dépassait son domestique qui se courbait respectueusement lorsque tout à coup, la porte vitrée explosa. Les débris volèrent et se répandirent sur le sol tandis qu'une masse sombre roulait jusqu'aux pieds du maître des lieux.
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