Chapitre 7 : Quand la mort s'invite à bord

Tout n'était plus que chaos. Des cris, des bruits de luttes ainsi que l'alarme interne résonnaient dans tout le Polar Tang. Des pas de course s'élevèrent. Louis se tapit dans un coin, conscient que contrairement aux plus jeunes, ils ne résisteraient pas longtemps à l'assaut. Toutefois, l'angoisse croissait de seconde en seconde. Il sentait que l'ennemi approchait et les ordres du capitaine étaient clairs : ne pas intervenir.
À cette pensée, il raffermit sa prise sur la barre de métal. Il obéirait et n'irait pas au-devant de l'intrus. Cependant, son rôle en tant que chef mécanicien consistait à défendre la salle des machines. Ses hommes, bien plus jeune pour la plupart, participaient à la protection du pont aux côtés de leur supérieur. Il était rare, dans de tels cas, que quelqu'un réussisse à s'infiltrer à l'intérieur. Et pourtant au bruit dans les couloirs, il semblait que cela ne soit plus une réalité. Que s'était-il passé à l'extérieur ? Comment leurs adversaires étaient-ils parvenus à s'immiscer dans les corridors sombres du sous-marin ? Autant de questions qui devraient attendre la fin des hostilités pour obtenir une réponse.
Après plusieurs secondes qui parurent durer une éternité tant l'angoisse rongeait son être, la porte tourna sur ses gonds. Méfiant, il se recroquevilla autant que possible dans la pénombre de la pièce. Son regard se porta vers l'entrée. Dans l'encadrement, une silhouette inconnue et menaçante se profila. Bien que dissimulé dans l'ombre des machines, le nouveau venu ne tarda pas à le remarquer. À la vue du vieil homme rachitique à l'intérieur, l'ennemi esquissa un sourire en coin. Une goutte de sueur perla sur le front de Louis et roula sur sa tempe.
Louis le savait. Il n'opposerait aucune résistance convenable face à cet individu. Mais hors de question de renoncer à l'affrontement et de fuir la queue entre les jambes. L'art du combat, il le connaissait et l'avait à maintes reprises utilisé. Hélas, l'âge le rattrapait et il peinait à faire la différence. Dans ce type de situation précaire, il ne pouvait faire qu'une chose : maudire ses vieux os ! Il se défendrait bec et ongles ! Il le ferait pour sa fierté personnelle ainsi que celle de l'uniforme qu'il arborait depuis plusieurs années. Sans compter que si cet homme détruisait les machines, ils seraient fichus.
Louis se dressa face à l'ennemi. Il brandissait son arme improvisée. Autant dire que cette attitude défiante amusa fortement l'infiltré. De haute taille, il dépassait largement le mécanicien. Il portait une tenue sombre, mais sans artifice et son visage demeurait visible. Ces types attaquaient à visage découvert, preuve qu'ils ne redoutaient pas les représailles.
"Tu vas crever, vieillard.
En guise de réponse, Louis lui sourit avec ironie. Bien sûr qu'il allait crever. Il le savait rien qu'à la vue de son adversaire. Comment le frêle vieil homme qu'il était pourrait-il s'opposer aux tas de muscles de la jeunesse en face de lui ?
L'individu avait les cheveux roux, hirsute et les prunelles gris acier. Il sortit de sa ceinture un objet des plus étranges qu'il jeta au sol. Une petite explosion, identique à celle d'un pétard, emplit la pièce tout autant que le nuage de fumée artificielle qui s'ensuivit. Louis fronça les sourcils, plissa les yeux dans l'espoir de déceler l'assaillant. Un mouvement dans le brouillard, une silhouette imperceptible. "Là !", cria silencieusement son cerveau, alors même qu'un coup de poing l'atteignit en plein plexus. La puissance de l'attaque coupa la respiration du vieil homme qui heurta violemment un énorme cylindre métallique derrière lui. Une plainte lui échappa tandis qu'il retombait mollement sur le sol froid et sombre. La dextre sur le thorax, il tentait de recouvrer son souffle. Toutefois, l'occasion ne se présenta point puisque déjà son opposant se dressait devant lui. D'une main ferme et dure, il enserra dans un étau le cou gracile du pirate. Il le souleva à la force d'un seul bras tout en ricanant.
- Pitoyable. Comment un criminel tel que le chirurgien de la mort peut-il s'encombrer d'un type aussi inutile ?
Louis ne répliqua pas. Il ne le pouvait pas. Ses pieds se balançaient désespérément dans le vide. Il allait lui briser les vertèbres cervicales à moins qu'il ne meure asphyxié avant.
De sa main libre, le rouquin passa sa langue sur le métal froid de son poignard. Puis avant même que Louis ne puisse parler, il l'enfonça dans la chair du mécanicien. Les yeux exorbités par la douleur, Louis cessa de lutter. Ses bras retombèrent apathiques le long de son corps tandis que son essence vitale rougissait sa combinaison.
Amusé, l'intrus assena plusieurs coups de lame avant de la retirer pour la lécher. Il se délectait du goût du sang, de son odeur particulière. Avec dégoût, il jeta la carcasse inerte de Louis. Le vieil homme agonisait. Seul point positif dans sa situation précaire : il respirait ! Oui, mais pour combien de minutes encore ?
- J'ai perdu assez de temps avec toi.
Après un dernier regard vers sa victime, il se détourna lorsque tout à coup une main agrippa sa cheville. Dédaigneusement, il abaissa ses prunelles orageuses sur le chef mécanicien. Il s'accrochait à la vie, à son devoir. Était-il stupide au point de ne pas comprendre sa situation ? Enfin...
- Si tu souhaites vraiment crever, je vais abréger tes souffrances."
D'un coup de pied, il dégagea sa jambe et frappa le visage de Louis. Une dent vola, du sang gicla sur le sol tandis que la tête grisonnante retombait lourdement.
Décidément, il ne servait à rien. Cet homme cognait fort, certes, mais il avait vécu bien pire. Par le passé, lorsqu'il était entré de force au service de Doflamingo, la violence subie au fil des jours revêtait un degré bien plus élevé. Oui... ce type ne faisait pas le poids face à ce monstre et pourtant il le surpassait en tout point. Il ne faisait guère bon vieillir. Ce connard avait raison... il ne servait à rien. Il n'était qu'un poids mort pour l'équipage. Il valait mieux qu'il périsse ici plutôt que plus tard et en entraînant ses compagnons avec lui.
Confus, l'esprit cherchant à s'évanouir dans les nimbes de l'inconscience, Louis sentit son adversaire l'arracher une fois de plus de terre. La lueur de la dague accrocha ses pupilles. C'était la fin ! songea le mécanicien en une fraction de seconde. Mais tout aussi rapidement que cette pensée s'imposait à lui, l'ennemi tomba à terre en grognant de douleur. Louis s'écroula en un même ensemble.
Doucement, à demi conscient, il porta ses prunelles dans l'écran de fumée se dissipant. Ce fut à ce moment précis qu'il la reconnut. Minako ! La jeune femme se précipita vers lui. Elle se laissa choir à genoux et examina les blessures d'un seul regard.
Du sang. Tellement de sang... Malgré ses lacunes dans le domaine médical, Minako comprit en quelques instants la gravité de la situation. Il fallait absolument arrêter l'hémorragie d'une manière ou d'une autre. Cependant, ils ne pouvaient point se permettre de demeurer ici. Elle devait l'éloigner de cet endroit, de ce type. Elle déposa la poêle ayant servi à assommer l'indésirable et souleva Louis. Aussitôt ce dernier se rebella avec le peu de force qu'il lui restait. Il refusait son assistance. O il n'était pas ingrat.
"Va-t'en, gamine. Il va te tuer.
- D'accord, mais tu viens avec moi.
- Non. Je vais te ralentir.
- C'est en protestant que tu me ralentis. Allez ! Un petit effort, et debout.
Tout en parlant, elle l'aida à se redresser. Alors même qu'ils se dressaient cahin-caha, l'inconscient grogna. Minako et Louis abaissèrent en un mouvement synchronisé le regard vers l'homme à terre. Ils remarquèrent tous deux un tatouage au niveau des vertèbres cervicales de l'inconnu. Il ne s'agissait pas d'un Jolly Roger, mais d'un symbole des plus étranges.
De couleur noire, il se situait sur le cou de l'assaillant juste en dessous de l'oreille. Son aspect particulier attirait l'attention. On notait une sorte d'œil dentelé dont la pupille revêtait la forme d'un losange. Trois pics se dressaient sur le dessus dont le central possédait un contour plus long. En dessous, on remarquait la même présentation à la différence que les pointes étaient au nombre de cinq et que le troisième mesurait le double des autres.
Louis fronça les sourcils. Il ne reconnaissait pas ce symbole. Avait-il seulement une signification ? Peut-être n'en avait-il pas. Ce fut un gémissement qui le rappela à l'ordre. Il porta son regard vers la jeune femme et tiqua. Son expression démontrait un sentiment de malaise. Pourtant, il préféra ne pas s'attarder sur ce détail pour le moment.
- Mina... ko..."
À son prénom énoncé d'une voix douloureuse, Minako tressaillit. Elle le dévisagea et opina du chef avant de sortir dans le couloir. Ils ignoraient ce qu'ils se passaient ; et comment un assaillant était-il parvenu à se faufiler à l'intérieur ? Et la crainte de croiser de potentiels ennemis les terrifiait. Enfin, principalement, Minako. Louis était un pirate rompu à ce genre de situation contrairement à la petite boulangère, jouant une fois de plus les téméraires.

Après de longues minutes, ils atteignirent l'infirmerie. Vide de toute présence, le silence qui y régnait en maître revêtait un caractère oppressant, menaçant. Mais, l'urgence de la situation obligea la jeune femme à ignorer les signaux de son cerveau.
Avec l'énergie du désespoir, elle parvint à traîner le mécanicien à peine conscient jusqu'à un lit. Elle l'allongea. Ou plutôt, elle le laissa choir sur le matelas. Et malgré sa résistance, le corps de Louis n'étant plus qu'un poids mort l'entraîna avec lui. Minako tomba sur le vieil homme. Elle eut tout juste le temps de poser les mains sur la couche et éviter ainsi une collision.
Elle se redressa presque aussitôt. Ses prunelles vertes balayèrent la pièce à la recherche de quelque chose. Mais quoi ? Elle n'était pas médecin. Comment arrêter une hémorragie de ce genre ? Impossible d'apposer un garrot avec ce type de blessure. La seule solution serait un point de compression.
Sans plus réfléchir, consciente que chaque seconde comptait, elle se rua vers les nombreuses armoires, fouilla les tiroirs et diverses étagères. Dans son empressement, elle expédia divers objets au sol, mais n'y prêta aucune attention. Elle préféra se concentrer sur le vieil homme plutôt que le rangement.
Une fois revenue près du lit, elle tomba à genoux et hésita. La combinaison imbibée de sang amena un frisson d'effroi le long de son épine dorsale. D'une main tremblante, elle approcha ses phalanges de la fermeture et l'ouvrit. Un haut-le-cœur la saisit, et sans doute aurait-elle rendu son petit-déjeuner si elle avait pu l'avaler. Prenant sur elle, Minako posa une serviette sur la plaie béante et pressa de toutes ses forces. Elle refusait de laisser Louis mourir. Il était le seul à bord ou presque à l'avoir traité avec une gentillesse naturelle. Il se préoccupait sans cesse de son bien-être. Certes, elle pressentait que chaque mot, chaque parole, serait répété à Trafalgar Law.
Songeant à ce pirate dont le talent était la médecine, elle grinça entre ses dents. Ce sale type n'était jamais là quand on avait besoin de lui ! Merde ! Que faire ? Comment aider Louis ? Il allait périr si on ne le soignait pas.
Les larmes aux yeux, la lèvre inférieure tremblante, elle comprimait du mieux qu'elle pouvait les plaies du vieil homme.
Doucement, une main ridée se leva et chercha à tâtons quelque chose dans la combinaison. Son mouvement attira l'attention de Minako qui constata qu'il fixait d'un regard vide le plafond au-dessus de lui. Et lorsqu'elle le vit prendre une cigarette à force de gestes laborieux, elle ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt. À quoi bon protester ? Ce serait certainement la dernière qu'il fumerait.
"C... cett... e fo... outue fauch... euse... vient... enfin...
- Non ! se récria la jeune femme.
Elle refusait d'entendre une telle chose ! Il ne devait pas abandonner ! Il fallait qu'il s'accroche encore un peu !
Un sourire quelque peu attendri se peignit sur le faciès tuméfié du mécanicien. Il ne la voyait certes plus, n'avait même plus conscience de la douleur et de son environnement. Or, il ressentait la souffrance émotionnelle de la jeune femme.
- Merci... de... rester av...ec moi..."
Avec vigueur, l'intéressée secoua la tête. Inutile de la remercier. C'était ce qu'elle s'apprêtait à répliquer lorsque la porte derrière elle s'ouvrit. Intérieurement, elle le savait, son corps le lui hurlait. Tendue comme un arc, elle jeta un coup d'œil par-dessus son épaule.
C'était lui ! Il les avait retrouvés ! Mais comment ne pas réussir lorsque les taches de sang sur le sol valaient toutes les cartes au trésor du monde? Louis dut sentir le danger, puisqu'il tenta de repousser les mains de la jeune femme. Or, cette dernière résista. Elle n'abandonnerait pas son poste ! Déterminée, elle ne bougea pas. Même lorsqu'elle éprouva la caresse du souffle de l'ennemi sur son cuir chevelu. La terreur l'habitait. Incapable de se mouvoir, elle ne put le regarder et l'affronter une ultime fois. Car oui, elle n'était pas stupide. Elle ne faisait pas le poids contre lui.
Une paume s'abattit sur le sommet de son crâne tandis que les dactyles, telles des serres, se refermèrent sur la crinière flamboyante. Il tira dessus, l'obligea à se lever. Minako tenta de se débattre, plongea ses ongles courts dans les mains de son agresseur. Elle espérait se libérer de cette poigne.
Amusé par la résistance vaine de la jeune femme, l'intrus se décida, malgré tout, de mettre un terme à tout cela. Avec force, il la jeta à terre avant de s'approcher de Louis. Tout juste conscient, ce dernier n'en avait plus pour longtemps, autant abréger ses souffrances. Un rictus mauvais se peignit sur le faciès ennemi tant sa soif de sang était immense.
Mais à peine tendit-il la main vers le mécanicien que Minako bondissait sur lui. À califourchon sur son dos, elle tentait de l'empêcher d'accomplir son forfait. Elle enfonçait ses doigts dans les globes oculaires de l'homme qui grogna de mécontentement. Il lui ordonna avec rage de le lâcher. Mais, elle s'entêta et appuya encore plus fort dans l'espoir de crever les yeux à son bourreau. Certes, elle n'était pas une meurtrière et encore moins une pirate. Pourtant, elle refusait de fermer les paupières sur un tel acte de barbarie.
La fureur monta d'un cran. L'assaillant se jeta le dos contre le mur. Il entendit la jeune femme gémir sous l'impact. Minako sentit sa conscience se dissiper lorsqu'une douleur la força à se réveiller. Elle grimaça tandis qu'on la lançait comme un fétu de paille contre une armoire dont les vitres éclatèrent avec le choc. Les débris retombèrent sur la rouquine, immobile sur le sol. Prostrée, Minako avait l'impression que son corps tout entier était brisé. Une sensation étrange la gagna. C'était chaud sur le sommet de son crâne. Une blessure ? Peut-être bien. Mais d'un seul point incandescent, la chaleur, tel un petit ruisseau, serpenta entre ses mèches carmines pour glisser sur son front. Sa vue se teinta de rouge tandis que son agresseur approchait à pas lents, un air sévère placardé au visage.
Il se munit de sa dague et joua avec quelques instants avant de tendre la main vers la jeune femme. Instinctivement, elle abaissa les paupières, résignée. Mais rien ne se produisit ; ou plutôt si. Un cri de douleur déchira le silence autour d'elle. Mais ce n'était ni sa voix ni celle de Louis. Curieuse, elle ouvrit les yeux. La vision qu'elle découvrit la surprit et la rassura tout à la fois.
Une silhouette immense se dressait tel un rempart entre elle et l'intrus. Elle sourit, confiante, car elle savait que la donne avait considérablement changé.
Le chirurgien de la mort lui tournait le dos. Sa prestance, sa chevelure d'ébène s'échappant de son bonnet à fourrure blanc tacheté de noir, suffisait à l'identifier.
"Je prends la relève, miss."
Comme si elle n'avait jamais attendu que ces quelques mots depuis le début de cet affrontement, elle sombra dans les méandres de l'inconscient.
Ajouter un commentaire
Commentaires