Chapitre 1 : Visite surprise

Pas une seule étoile à la voûte céleste, ni même la lueur blafarde de la lune pour éclairer le village en contrebas dont le climat rigoureux en cette période de l'année obligeait les habitants à se terrer chez eux.
La neige recouvrait tout depuis plusieurs jours d'un manteau blanc et immaculé alors que le vent glacial soufflait avec hargne donnant l'impression de ne jamais vouloir cesser. Les flocons tombaient, dru, voltigeant lorsqu'Éole paraissait enfin s'apaiser. Malheureusement, cela se révélait de bien courte durée si bien que la petite bourgade reposant au creux d'une vallée se retrouvait isolée du reste du monde et devait user de traîneaux afin de se déplacer sur de longues distances.
Pas que cela ne les dérangeât, bien au contraire. Les villageois n'ignoraient en rien que de nombreux navires pirates accostaient dernièrement sur les côtes. Il fallait donc remercier un tant soit peu Dame Nature pour ce temps les préservant, tout du moins de ces criminels.
Vaine protection pourtant, songea une jeune femme assise à la table de sa cuisine, alors que des cris s'élevaient à l'extérieur aussitôt suivis par des bruits de pas de course.
Redressant quelque peu le visage et coulant un coup d'œil inquiet vers la fenêtre donnant sur la rue, elle vit quelques rares soldats de la marine courir en tout sens. Cela suffit à la conforter que malgré la neige épaisse, et les routes impraticables par faute de mauvais temps, il demeurait tout de même quelques courageux, ou peut-être même inconscients, se corrigea-t-elle mentalement en ramenant ses prunelles émeraudes sur sa tasse dont la chaleur de la tisane s'y trouvant lui réchauffait les mains.
Se perdant dans la contemplation du liquide ambré, un voile de tristesse et d'inquiétude passa sur son ravissant visage au teint ivoire. Sa bouche fine et parfaitement dessinée possédait la teinte claire d'un pétale de rose.
Ses doigts, interminables et frêles, aux ongles coupés courts et dépourvus de tout artifice tenaient fermement le mug alors qu'exhalant un profond soupir elle redressait la tête, tout en replaçant une mèche couleur de feu derrière l'oreille.
Levant machinalement les yeux vers l'horloge blanche suspendue au mur jauni de la cuisine, elle laissa échapper un souffle soulignant sa lassitude avant de déplier sa silhouette. Les pieds de la chaise crissèrent sur le carrelage brun, lugubre et oppressant dans le silence régnant en ce lieu pourtant occupé lui arrachant un frisson d'appréhension.
Mais ne prêtant point attention aux poils se hérissant sur ses bras, elle vida sa tasse dans l'évier et la rinça. Retenant de justesse un bâillement, elle se dirigea vers la pièce voisine, s'y attardant quelque peu, le temps pour elle, de raviver le feu brûlant dans l'âtre. Prenant une bûche, elle la glissa dans la cheminée afin qu'il ne s'éteigne pas dans la nuit. Après tout, il serait dommage qu'elle meure de froid dans son sommeil, les températures extérieures ne lui permettant en rien ce genre d'erreur.
Replaçant le tisonnier sur le support prévu à cet effet, elle déplia sa fine silhouette tournant machinalement la tête vers un coin du salon. Un doux sourire erra sur ses lèvres à la seule vue du grand sapin joliment décoré de boules et guirlandes multicolores. Le temps était en effet à la fête, l'une des plus importantes et les plus prisées des enfants.
D'une démarche souple, elle s'approcha du conifère dont elle effleura les épines du bout des doigts.
Noël arrivait à grands pas. Brûlant d'impatience à l'idée de glisser le présent acheté pour le petit Liam sous l'arbre de la Nativité, elle sourit. La jeune femme imaginait sans peine le regard du garçon, haut comme trois pommes, brillant d'excitation en découvrant le jouet qu'il réclamait depuis longtemps. Ce n'était plus qu'une question de jours, songea-t-elle en lâchant le résineux. Elle affectionnait particulièrement cette odeur, et alors qu'elle débranchait la prise, mettant un terme au scintillement des ampoules minuscules, un bruit étrange, mat et inhabituel ne rompit le calme de la pièce. Fronçant les sourcils tandis que dans sa poitrine, son organe vital s'emballait dangereusement sous l'effet d'une émotion intense et irraisonnée nommée la peur.
Regardant autour d'elle, rongée d'angoisse, le souffle court, elle guettait le moindre son suspect, lui indiquant qu'une présence étrangère avait élu, bien malgré elle, domicile dans sa demeure.
L'effroi le plus incontrôlé s'empara de son être, mais hors de question pour elle, cependant, de fuir. Non, cela ne lui ressemblait pas ! S'armant de la longue tige de fer servant à remuer les braises, elle partit en quête de la source du bruit.
Mais malgré tout, la crainte lui nouait le ventre, et son cœur cognait si fort à ses tempes qu'elle craignait que l'intrus, s'il y en avait un, ne l'entende. Visitant, l'une après l'autre les diverses pièces du réez de chaussée, allant de sa petite boutique, aux pièces annexes avant de revenir dans le salon puis la cuisine. Rien... le silence régnait de nouveau en maître... Soupirant, se morigénant intérieurement pour son empressement à paniquer, elle secoua la tête en signe de dérision. Heureusement que ses bienfaiteurs ne la voyaient pas en cet instant, ils riraient bien de son idiotie.
Mais, à peine se disait-elle cela qu'un grincement lugubre suivi d'un claquement brutal s'éleva non loin d'elle. De surprise, ne s'y attendant point et déjà bien à cran, elle sursauta en criant alors qu'elle en lâchait le tisonnier qui heurta le sol en un bruit métallique.
Battant des paupières, ce fut avec un soulagement évident, la main sur la bouche qu'elle constata qu'il ne s'agissait là que de l'œuvre de l'ouragan. Se baffant mentalement, elle s'approcha de la fenêtre et l'ouvrit.
"Idiote... Ce n'est que le volet qui claque."
Oui, ce fichu volet dont l'attache peinait à le retenir en place heurtait violemment le mur de la bâtisse par moments. Le clôturant donc avec précaution, notant au passage que la tempête avait redoublé d'intensité, elle l'attacha fermement avant de refermer en grelottant. Se frottant les bras dénudés de ses mains glacées comme pour mieux se réchauffer, elle pivota en songeant qu'elle avait eu son lot de frayeur pour la soirée et qu'une bonne nuit de sommeil lui ferait un bien immense.
Toutefois, elle eut à peine le temps de se retourner que des doigts aussi froids que la neige dehors se plaquait sur sa bouche la réduisant au silence, alors qu'ouvrant de grands yeux terrifiés, elle se retrouva captive d'un regard couleur cendre.
Incapable de bouger, coincée bien malgré elle entre l'évier de la cuisine et son agresseur, les battements de son cœur redoublèrent d'intensité lorsque l'homme la menaça d'une voix ferme et menaçante :
"Tu cries, tu meurs... Compris... ?"
Glacée jusqu'au sang par cette menace latente, elle opina d'un léger signe de tête tandis que doucement il retirait ses phalanges avec méfiance. De toute évidence, il s'attendait à ce qu'elle se mette à hurler dans la seconde, mais réalisant qu'elle n'en ferait rien, il s'écarta de la jeune femme lui permettant par la même occasion de recouvrer un certain espace. À son regard, il nota qu'elle hésitait encore entre la fuite ou la soumission.
Pourtant, elle n'en fit rien. Étrangement, alors que tout lui criait de s'échapper, de s'éloigner de cet individu, elle ne bougea pas. De toute manière, elle savait en son for intérieur qu'elle ne parviendrait point à aller bien loin. Après tout, dehors la tempête faisait rage et elle mourrait de froid avant même de réussir à trouver de l'aide, quant à rester entre ses murs, autant coopérer. Oh, Minako avait pleinement conscience du danger de sa situation, néanmoins, elle espérait uniquement qu'il l'autorise à vivre.
D'ailleurs, qu'attendait-il d'elle au juste ? Pourquoi elle et pas une autre ? Grimaçant contre sa mauvaise fortune et se maudissant également pour ses habitudes déplorables, notamment celle de laisser la porte arrière ouverte. Mais que voulez-vous ? En temps normal, les bandits ne se risquaient point dans un village aussi isolé et encore moins en cette période de l'année.
Au pire, ce criminel se contenterait de la déposséder de son argent et de nourritures. A moins qu'il ne chercha un endroit au chaud où passer la nuit. Pourtant, elle chassa bien vite cette dernière idée de son esprit. Non, il y avait quelque chose de froid, d'inquiétant dans les pupilles argentées, quelque chose qui lui glaçait le sang jusqu'aux os et qu'elle ne parvenait point à nommer.
Faisant un pas sur le côté, elle s'éloigna du ténébreux sans le lâcher de ses prunelles émeraude. Reculant, le cœur battant à vive allure comme après une course effrénée de plusieurs mètres, elle buta contre l'une des chaises qui se renversa. Tressaillant, elle osa à peine regarder et relever le siège tant la présence de cet individu se faisait oppressante.
Pourtant, silencieux, se soutenant de son nodachi, il ne bougeait pas, se contentant de la suivre du coin de l'œil. De toute évidence, il limitait ses mouvements. Pourquoi ? De plus en plus intriguée, se tenant sur la gauche du pirate, elle savait devoir le quitter une fraction de seconde des yeux, ne serait-ce que pour éviter de se prendre les pieds dans la chaise. Or, tout à coup, il pivota dans sa direction, silencieux et énigmatique.
Captive de sa seule présence, Minako, ne bougeant plus, porta une main à sa poitrine. De son regard brillant d'angoisse, elle étudia, finalement, l'homme devant elle. Il était très grand, bien plus qu'elle ne l'était. Sa carrure fine dénotait avec la fermeté de sa prise plus tôt. Il arborait un bonnet blanc tacheté de noir, masquant en partie ses yeux, mais aussi la couleur de ses cheveux qu'elle devinait pourtant identique au plumage sombre d'un corbeau, tout comme son petit bouc. Ce ne fut que lorsque son regard se posa sur le pull jaune et noir qu'elle remarqua finalement la tache de sang imbibant ce dernier au niveau de l'abdomen.
Il était blessé... Ça changeait tout. Ce fut du moins la pensée qui traversa l'esprit de la jeune femme. Pourtant, bien loin de s'enfuir ou de tenter de se défaire de lui, profitant ainsi de son moment de faiblesse, comme la plupart des gens, Minako exhala un long soupir de résignation. Tout en se maudissant pour sa bonté d'âme et peut-être même sa bêtise, la rousse s'approcha de lui.
Méfiant, Trafalgar se tint sur ses gardes, même lorsqu'elle glissa un bras sur sa taille pour le soutenir et le conduire jusqu'au salon. Il fallait avouer à la décharge du pirate qu'il n'existait point une seule personne en ce bas monde, des individus assez fous ou sans doute stupides, pour prendre de tels risques. Se laissant guider par la jeune femme, marchant tant bien que mal, grimaçant de douleur à chacun de ses mouvements, il contenait les plaintes menaçant de franchir ses lèvres à tout instant, Trafalgar lui coula un coup d'œil en coin, examinant la maîtresse des lieux.
Elle était plus petite que lui, bien deux têtes en moins. Elle avait le teint pâle et de grands yeux verts en amande, ainsi qu'une bouche fine et teintée de rose. Quant à sa silhouette qu'il n'avait fait que survoler du regard, elle lui semblait gracieuse et harmonieuse. Elle était jolie, se dit-il mentalement pour la première fois, lorsqu'il réalisa quelque chose. Elle ne devait point être plus âgée que lui, et pourtant, elle paraissait vivre seule dans cette maison. A moins, qu'elle n'ait un homme dans sa vie qui se cachait quelque part. À l'étage sans doute ? Et peut-être même qu'elle guettait le moment où sa méfiance endormie, elle appellerait son petit copain ou mari à la rescousse. Non, se corrigea-t-il mentalement. C'était impossible. Si d'aventure une tierce personne occupait les lieux, elle aurait crié au secours, et ainsi donné l'alerte dès le début, mais rien. Enfin, il n'était pas assez stupide non plus, pour placer aveuglément sa confiance en une étrangère dont il ignorait tout, et cela jusqu'à son prénom.
Cette pensée lui traversant l'esprit, il apprécia l'odeur du shampoing se dégageant de sa chevelure rouge. Cependant, mêlée à cette dernière, un parfum particulier flottait autour d'elle. Un effluve qui lui retournait l'estomac, mais que son cerveau refusait d'identifier.
Il n'eut guère le loisir de pousser son examen plus loin puisque parvenant devant le canapé, elle l'aida à s'asseoir. Sans tergiverser, bien consciente des risques qu'elle prenait et de ce que ses actions impliquaient, elle installa le pirate dans le salon à proximité de la cheminée. Soupirant, zieutant le faciès masculin blême et déformé par la douleur, elle avisa des fines gouttes de sueur sur son front dont une roula sur sa tempe. Prestement, Minako se redressa et le débarrassa de son couvre-chef.
À cette simple action, le regard du criminel se durcit vivement, allant même jusqu'à refermer sans douceur aucune, ses doigts glacés et tatoués, sur le frêle poignet. Le serrant à lui en broyer les os, Law la fixa durement. Grimaçant et gémissant de douleur, la jeune femme s'efforça de se défaire de sa poigne. Ce ne fut qu'après un bref instant à la scruter, à la voir se débattre pour lui échapper qu'il lui reprit son bien tout en demandant d'une voix faiblarde :
"À quoi... tu joues, miss ?"
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