Chapitre 8 : lE hARPON DE LA DERNIERE CHANCE

À cette proclamation, la petite assemblée dévisagea leur capitaine, ne parvenant pas à saisir le sens de ses paroles. Ils commencèrent à suspecter que le manque d’oxygène avait pu altérer la raison de leur supérieur.

 

Cependant, il n’en était rien. Avec un aplomb inébranlable, le « Chirurgien de la Mort » révéla que l’électricité du Polar Tang enveloppait actuellement ce dernier tel un dôme protecteur. Arkan ne pouvait pas s’aventurer à l’extérieur, au risque de se faire griller les écailles.

 

Par conséquent, ils ne remonteraient pas. Mais, ce point quelque peu lugubre ne représentait en réalité aucune sombritude. Alors que le découragement se peignait sur les visages des Hearts présents, Law se montra rassurant.

 

Jusqu’à présent, leur quête d’énergie s’était avérée infructueuse. Mais, avec la tentative de sortie d’Arkan, ce problème trouvait enfin une solution. Et par conséquent, une chance de survie pour les pirates.

 

« Il ne nous reste plus qu’à réapprovisionner le sous-marin, annonça Law.

 

— Et comment fait-on ça ? s’enquit Bawi.

 

Law s’apprêtait à répliquer lorsqu’une voix s’éleva depuis l’entrée. Surpris, les yeux convergèrent vers le nouveau venu.

 

Louis se tenait tant bien que mal contre le cadre. Son teint pâle soulignait son mal-être.

 

Le regard sévère, Law mangea la distance les séparant et se campa devant lui. Il s’empressa de le rabrouer. Sous l’attention du vieil homme, son visage arborant une expression troublée se tourna vers le ténébreux avant qu’il n’exhale un léger soupir et le pousse pour rejoindre son équipe.

 

— Je me reposerai une fois de retour à la surface ou, dans le pire des cas, dans l’autre monde, déclara-t-il.

 

Le regard furibond de Trafalgar en disait long sur sa manière de penser. Louis s’assit en tailleur sur le sol et tout en lui coulant une œillade par-dessus son épaule, ajouta :

— Tu n’as guère meilleure mine, capitaine. Et tout comme tu supposes que ton équipage a besoin de toi, je sais que ma présence est requise en salle des machines. »

 

À cela, Law ne trouva pas de réplique adéquate. Et puis à quoi bon ? Louis s’était toujours caractérisé de cette manière. Il ne l’écoutait que lorsque leurs opinions concordaient. Certes, il lui vouait une déférence en tant que supérieur et le suivrait jusqu’à l’ultime conclusion, mais il conservait sa dignité.

 

D’un pas vif, il rejoignit son poste afin de relancer le système d’oxygène. Au moins, son labeur permettrait sans doute aux mécaniciens de trouver une idée et par conséquent sauver tout le monde.

 

Louis l’observa quelques secondes. Il avait conscience de la voie qu’il empruntait et n’arrêterait son œuvre que lorsque la grande faucheuse viendrait réclamer son dû. Sauf qu’il n’escomptait pas laisser les choses se dérouler ainsi. Non ! Hors de question, que l’entité dont son capitaine et ami portait le nom stoppe leur périple de la sorte !

 

Déterminé, il considéra à tour de rôle ses compagnons. En cet instant, le défi ne résidait pas tant dans la provenance de l’énergie elle-même, mais plutôt dans la manière de l’incorporer au Polar Tang. Bien que les choses revêtaient une apparence de simplicité, la réalité s’avérait différente.

 

Pourtant, Louis ne manquait pas d’ingéniosité et, une fois encore, il brilla. Il exigea un harpon ainsi que des câbles en cuivre ou en fer. Et tandis que Bawi s’occupait du matériel, le second mesurait la distance entre le sas et la salle des machines.

 

Demeuré seul, Louis leva les yeux vers le moteur principal. Il n’était pas stupide. Il savait que ce dernier exploserait dès qu’il recevrait une charge aussi violente en une unique fois. Pour éviter un tel scénario, il devait fabriquer en quelques minutes une résistance. Autant dire que cela relevait du génie s’il y parvenait.

 

La tête de Louis se mit à bouillonner d’idées. Un réservoir d’eau douce en ébonite du navire servirait de base. Tranché à mi-hauteur, il n’utiliserait qu’une portion. Le cuivre ou le fer du harpon, installé comme fil à travers du liquide, fonctionnerait de la même manière qu’un supraconducteur décent ; la chaleur dissipée par la faible mouvance marine empêcherait l’explosion.

 

« Kyle ! », appela Louis.

 

Un jeune homme se détacha du petit groupe de Hearts et trotta vers Louis. Ce dernier expliqua son plan. Kyle opina du chef, ses yeux brillaient d’admiration pour le vieux. Il courut vers l’armurerie pour solliciter l’aide d’autres membres dans la construction de cette résistance précaire.

 

Pendant ce temps, Bawi revint avec le matériel demandé. Louis serra d’une main ferme le harpon, le testant pour sa robustesse. Declan, dans l’esprit de Louis, accomplissait véritablement un travail de qualité. Il accrocha également des câbles longs de plusieurs mètres. Ils serviraient à transférer l’énergie absorbée par le projectile vers le nouveau supraconducteur, et enfin, au sous-marin.

 

Tout d’abord, Louis réalisa que l’approche du problème devait être abordée par paliers. La collecte du courant, sa transmission et sa conversion ; chaque étape devait être maniée avec précision pour assurer le succès. Quant aux concepts physiques de base, tels que la loi d’Ohm et le rôle du cuivre et du fer en tant que matériaux notables d’électricité, ceux-ci se présentaient comme les clés favorisant la résolution de cette crise.

 

Ensuite, pour recueillir l’énergie du dôme autour du submersible, Louis eut l’idée brillantissime d’un harpon modifié. En fabriquant un réseau de rainures complexes sur ce dernier, ils pourraient augmenter la surface et ainsi collecter plus de courant. Cette idée s’inspirait de la notion de la foudre qui était attirée par les points les plus hauts, car ils offraient le parcours de résistance le plus bas à la terre.

 

La problématique majeure résidait pour la suite dans l’acheminement sécurisé de cette puissance recueillie jusqu’au Polar Tang. C’était là qu’intervenaient les fils en cuivre ou en fer. Ces matériaux figuraient souvent dans les câblages, car ils servaient d’excellents conducteurs, ce qui signifiait qu’ils permettaient au courant de circuler avec un minimum de perte.

La troisième et dernière épreuve consistait en la conversion de cette force invisible en une forme exploitable pour le sous-marin. Louis avait suggéré de créer un dispositif en utilisant un réservoir d’eau douce en ébonite, un projectile en métal et une substance. Cela se basait sur le principe de la résistance où la chaleur générée par l’électricité passant à travers le liquide dissiperait suffisamment d’énergie pour que le moteur principal puisse la gérer, évitant ainsi une surcharge qui aurait pu provoquer une explosion.

 

Alors que les autres préparaient l’objet tant désiré, Louis s’occupa de l’extrémité du harpon. Usant de sa lame personnelle, le vieux pirate réalisa un ouvrage minutieux d’incisions. Il avait l’intention de maximiser la surface de transfert de puissance sur la crête en y sculptant un réseau complexe de rainures. Les secondes s’égrenaient de manière interminable tandis qu’il travaillait.

 

En définitive, à la suite d’une laborieuse série de minutes, la résistance s’affichait prête. La cuve d’eau douce avait été installée près du moteur principal. La pointe du projectile attendait d’être lancée vers la source d’énergie.

 

« Préparez-vous à un impact d’électricité massif. C’est le moment de vérité, prévint Louis.

 

Les visages se tendirent autour de lui. Le vieux pirate tourna son regard vers l’un de ses compagnons.

— À toi de jouer, déclara Louis, tout en confiant le harpon à Arkan. Bonne chance. »

 

Dans un silence épais, Arkan quitta les lieux afin de rejoindre le sas. La suite dépendrait uniquement de lui.

Le danger de la situation persistait. S’appuyant contre le mur froid du sous-marin, Law pouvait à peine garder ses yeux ouverts. Le « Chirurgien de la Mort », en temps normal, très maître de lui, apparaissait plus humain que jamais. Sa tenue autrefois impeccable était maintenant fripée et couverte de traces de sueur, tandis que son chapeau avait été abandonné sur le sol à ses côtés.

 

Sa respiration se faisait lourde et haletante, révélant sans équivoque la fatigue qui l’assiégeait. Ses cheveux noirs tombaient devant ses yeux, obscurcissant son regard argenté habituellement intense. D’ordinaire étincelantes de vitalité, ses prunelles affichaient désormais une lueur terne, voilée par les rigueurs de cette épreuve.

 

Chaque pulsation de son cœur propageait des ondes d’épuisement à travers son corps tandis que chaque inspiration se muait en combat. Ses bras pendaient, inertes et sans aucune force. Comme s’ils avaient été trop lourds pour qu’il les relève.

 

Cependant, sous cette évidente fatigue, régnait une détermination inébranlable. C’était cette force qui l’avait toujours soutenu au quotidien et qui, même maintenant, alors qu’il semblait à bout de force, continuait de le stimuler et de le maintenir éveillé, concentré sur leur avenir incertain.

 

De son côté, Arkan s’apprêtait à lancer le harpon. Malgré le stress qui pesait dans la cabine, il gardait son calme. Les yeux fixés sur la source d’énergie, il prit une profonde inspiration avant de saisir fermement l’engin. Il leva son bras et le jeta de toutes ses forces. Le voyage de l’objet dans les airs sembla durer une éternité. Chaque seconde, chaque respiration, chaque battement de cœur s’étiraient à l’infini.

 

Avec un bruit retentissant, le harpon frappa le manteau électrique. Une étincelle jaillit et rencontra la flèche, illuminant tout sur son passage. La terre trembla sous le choc. Puis, malheureusement, au moment précis de l’impact, la fermeture de la porte du sas trancha le câble. Le contact avec le courant foudroyant fut rompu abruptement et l’éclair se rebiffa, touchant Arkan de plein fouet.

 

Le Heart fut projeté en arrière telle une brindille par le vent. En un instant, son instinct de survie prit le dessus et il se transforma. Sa silhouette masculine se métamorphosa en celui d’un serpent colossal, lui offrant une protection face à la violente décharge énergétique.

 

Maintenant en animal géant, avec sa peau épaisse et ses écailles brillantes, il résista. Malgré la douleur intense qui le parcourait, il tenait bon, sans moyen de fuir. Il devait rapidement trouver une solution, sinon il était condamné.

 

L’agonie qui le torturait dépassait l’expression. C’était comme si une multitude de vers électrique traversaient son corps, dévorant chaque fibre de son être. L’assaut constant de courant surstimulait ses sens, sans lui laisser un instant de répit. Chaque millimètre de chair réagissait douloureusement à ce contact malsain, tandis que des particules incandescentes perforaient ses écailles.

 

Pourtant, ce n’était pas seulement la souffrance physique qui le tourmentait. C’était aussi le poids des responsabilités qui s’écrasait sur son âme. Arkan connaissait son rôle à bord du Polar Tang et comprenait l’importance de ses actions. Si une erreur survenait, lui et l’équipage seraient perdus à jamais, une tragédie qu’il refusait d’envisager.

 

Subitement, depuis le sous-marin, une silhouette aux couleurs d’un ciel estival émergea, baignée d’une aura d’un bleu éthérique. Elle semblait flotter gracieusement dans le liquide sombre et profond, éclairée par la lueur chatoyante de l’énergie sauvage.

 

Éreinté, mais soulagé, Arkan regarda l’entité maîtriser la situation avec stupeur. Un rire nerveux incontrôlable quitta ses lèvres. Sa transformation en serpent s’estompa peu à peu, révélant un homme ravi, mais épuisé. La peur pour la survie de l’équipage se dissipa lentement, remplacée par un sentiment de gratitude envers le mystérieux être qui leur avait probablement sauvé la vie.

L’infirmerie se noyait dans une obscurité presque totale, seulement déchirée par les lueurs capricieuses des moniteurs médicaux. Le doux bruit des machines rythmait le silence oppressant du sous-marin.

 

Dans un coin de la pièce se trouvait un lit étroit, son occupant gisait, immobile, dans un sommeil fragile. Sur le matelas reposait l’invitée du capitaine. Son visage fin traduisait une souffrance sans équivoque. Elle était vêtue d’une blouse blanche, trop grande pour son corps frêle. Sa chevelure ébène contrastait fortement avec le drap immaculé sous elle. Un ensemble d’agrafes médicales luisait lourdement sur son abdomen, les preuves brutales des blessures infligées par l’Amiral ennemi.

 

En temps normal, ses yeux brillaient avec une intelligence aiguë et sa présence était toujours accompagnée d’une vivacité insouciante. Cependant, pour le moment, elle n’était qu’une ombre de son moi habituel.

 

Accablée par une souffrance indicible et immergée dans un coma profond, la brunette siégeait au seuil de la mort, jusqu’au moment où Law, mettant en œuvre ses habiletés chirurgicales exceptionnelles, parvint à la rétablir. Sa dette était remboursée.


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