Chapitre 7 : Le dernier souffle du polar tang

Les réserves d’air s’amenuisaient de seconde en seconde. Dans le sous-marin, beaucoup de Heart avaient tourné de l’œil et se trouvaient actuellement sous oxygène. Les pirates peinaient à respirer. Allongés sur le sol ou leur matelas, ils patientaient. Tout espoir de survie ne subsistait plus dans aucun des esprits.

 

Quant au capitaine, bien qu’impacté par la situation, il ne baissait pas les bras. Et pourtant, il la voyait, la sentait planer au-dessus de lui. La grande faucheuse guettait le moment où elle l’arracherait à ce monde avec délectation.

 

Déterminé à ne pas capituler pour autant, Law étudiait les ouvrages ouverts sous ses yeux. Il ne connaissait rien au domaine de l’électricité et ce manque de savoir l’horripilait. S’il le maîtrisait un tant soit peu, il pourrait sans doute soutenir les mécaniciens. Louis. À la pensée de ce vieil homme, son ami de longue date, il baissa la tête. Ses mains tatouées se portèrent à sa rencontre pour la cueillir avec douceur tandis que les coudes touchaient la surface du bureau.

 

Combien de temps cela faisait-il ? Depuis cette problématique situation, Louis travaillait à une solution. Une solution qui pourtant se faisait appeler « Désir ».

 

Mais que pouvait-il faire de plus ? Quelles options avait-il encore à sa portée ? Et comme toujours dans les moments les plus difficiles, le doute vicieux et cruel s’insinua dans ses veines. Une petite voix désagréable l’accusa. Oui, le grand Chirurgien de la Mort brillait par son irresponsabilité, son incompétence. Il avait choisi le pire des navires pour une aventure des plus dangereuses. Oui, il avait eu tort d’embarquer sur un sous-marin. Ces mots tournaient en boucle dans son esprit. Ses doigts se crispèrent dans ses cheveux lorsque tout à coup, il bondit sur ses jambes. Dans ce mouvement aussi vif que brutal, son fauteuil se renversa alors que dans la foulée, le capitaine, d’un geste rageux et violent, balaya sa surface de travail. Livres, dossiers et tout autre objet échouèrent aux pieds du Chirurgien de la Mort.

 

Cette attitude ne suffit point à calmer l’impuissance du ténébreux qui déversa toute sa frustration sur ses affaires. Après quelques minutes à tout retourner, il s’immobilisa le souffle court. Son regard d’acier se promena sur le résultat de son emportement. Inutile de s’appesantir sur ses actions aussi puériles qu’insensées. Le découragement l’assaillit en le confrontant à la sordide réalité.

 

Oui, ils étaient tous condamnés. Autant le reconnaître une bonne fois pour toutes. Pourquoi s’entêter, s’acharner à dénicher une échappatoire qui leur demeurerait à jamais inatteignable ? Face à ce qu’il refusait jusqu’à présent d’admettre, ses bras retombèrent mollement le long de son corps. Il tituba vers l’arrière. Son dos se posa sans heurt contre la paroi contre laquelle Law glissa jusqu’au sol. Assis, le chirurgien leva les yeux vers un ciel aujourd’hui tout aussi invisible qu’inaccessible et marmonna comme pour lui-même :

 

« Désolé, Cora. Je ne pourrai pas te venger. »

 

Tout le monde s’était démené et aucune solution n’avait été trouvée. Il ne leur restait plus qu’à se laisser mourir. Que pouvaient-ils faire de plus ? Le cœur lourd, un poids immense lui comprimait la poitrine, Law abaissa les paupières. Comment pourrait-il faire face à ses hommes dans l’autre monde ? Il avait tout foiré. Seul point positif dans ce macabre destin : leur fin serait sans douleur.

En salle des machines, bien que personne ne rendait les armes — contrairement au capitaine —, beaucoup peinaient à respirer. L’oxygène manquait cruellement et un nombre conséquent de Hearts avaient tourné de l’œil. Les minutes avant la fin s’égrenaient lugubrement et personne ne pouvait rien faire.

 

Louis, plus que tout autre Heart, s’acharnait. Abandonner ? Impossible ! Il rejetait cette option de tout son être. Son supérieur comptait sur lui ! Il était toujours celui qui les sauvait. Il avait enfin l’occasion de l’aider, de lui rembourser la dette qu’il avait à son égard. Il ne pouvait pas échouer. Déterminé, il attrapa une clé à molette et se redressait lorsque tout à coup sa vue se troubla. Un voile obscurcit son champ de vision. Il chancela et s’écroula. À la vue de cette scène, les mécaniciens présents se précipitèrent vers le vieil homme. Rapidement, ils constatèrent qu’il ne respirait plus.

 

Kuro ouvrit d’un geste brusque la combinaison et débuta un massage cardiaque tandis qu’il ordonnait à ses compagnons de prévenir leur capitaine.

Quelques minutes plus tard, le ténébreux apparaissait sous leurs yeux. L’inquiétude suintait par tous les pores de sa peau. L’heure était grave ! Jusqu’à quelques minutes auparavant encore, il se résignait à périr. Cependant, l’état de Louis agit sur sa détermination comme un coup de poing. Rappelé à l’ordre, il recouvra sa combativité. Il se battrait pour survivre. Et attendre n’était plus une option. D’un shambles, il transporta son vieil ami en salle d’opération où Owen guettait la grande faucheuse.

 

Assis contre le mur, à même le sol, la tête contre les genoux, ce fut un bruit qui l’alerta. Doucement, l’assistant releva le visage pour distinguer une paire de chaussures noires. Un sourire désabusé retroussa le coin de ses lèvres tandis qu’il soufflait :

 

« Je t’attendais. Je savais que tu te montrerais devant moi. Vas-y, tu peux m’emmener.

 

— Cesse donc de délirer et apporte-moi un masque à oxygène.

 

Le ton impérieux le tira de sa léthargie. Il battit des paupières et réalisa qu’il s’agissait de son supérieur. Ce dernier venait d’apparaître avec Louis. À la vue du vieil homme, inconscient, Owen s’angoissa rapidement. Il connaissait l’affection de Law pour le chef mécanicien. Autant dire que son trépas écorcherait immanquablement son âme.

 

— Bouge ton cul !

 

Owen regarda vers la droite et soupira avant d’annoncer :

 

— Nous n’avons plus de masque, capitaine. C’est une hécatombe ici.

 

Tout en parlant, il désigna un coin de la pièce. Les prunelles cendrées se portèrent dans la direction indiquée. Aussitôt, Law pesta contre sa mauvaise fortune. Décidément, le destin se jouait de lui ! Le nombre de Heart sous oxygène se révéla bien plus conséquent qu’il ne le présageait. Sans un mot, il poursuivit son massage cardiaque.

 

— Apporte-moi le défibrillateur.

 

— Il n’y a plus de batterie, capitaine.

 

À ces mots, Law grinça des dents. Toutefois, il ne renonça pas. Il opta pour une solution tout aussi efficace : son pouvoir. Il envoya une décharge dans la poitrine de Louis dont le corps s’arc-bouta. Une fois. Deux fois. Et le cœur repartit calmement.

 

— Pourquoi l’avoir ranimé, capitaine ? Nous sommes tous voués à une mort certaine.

 

— Mets-lui le masque de la femme.

 

Attends ! Quoi ? Sérieusement ? Après tout le travail que ça lui avait demandé pour la maintenir en vie.

 

— Vous êtes sûr, capitaine ?

 

— Mon équipage est plus important qu’une potentielle ennemie. »

 

Owen ouvrit la bouche afin de protester ; or, il n’eut guère le temps d’articuler le moindre son. En effet, Law disparut aussi rapidement qu’à son arrivée. Owen soupira avant d’obéir aux ordres non sans une pointe d’amertume.

Trente minutes plus tard, Law avait regroupé les Hearts encore vaillants dans le réfectoire. À leur teint pâle, il comprit mieux que personne la gravité de la situation. Et justement, il en avait assez d’attendre, de douter de leur survie, de se demander s’ils reverraient le ciel bleu.

 

Sans une once d’hésitation, il annonça son plan. Le seul qu’il avait. Les mécaniciens l’écoutèrent. Penguin secoua la tête. Il faisait confiance à son supérieur, mais son projet demeurait tout de même fort risqué. Et il ne manqua pas de le souligner.

 

« Je refuse d’attendre la mort sans rien tenter.

 

— Je suis d’accord avec vous, capitaine. Toutefois, Pen a raison, intervint Arkan. Laissez-moi sortir. Mon idée est moins dangereuse.

 

— C’est du suicide, répliqua le ténébreux.

 

— Il vaut mieux un seul mort que tout un équipage. Vous ne pensez pas ?

 

Law le dévisagea longuement. Arkan marquait des points. Il avait raison et à dire vrai il avait toujours réfléchi de la sorte. L’essentiel dans ce genre de situation demeurait de préserver le maximum de vies même si cela impliquait d’en sacrifier une. Bien qu’à contrecœur, il valida cette tentative en donnant néanmoins quelques consignes supplémentaires. La remontée serait longue et dangereuse. Il risquait fort de subir une attaque d’un monstre marin. Si cela se produisait, leur tractage le pénaliserait fortement.

 

— Mais, nous manquerons d’air avant d’atteindre la surface, indiqua Jean Bart.

 

— L’oxygène, je m’en charge, intervint Law. J’alimenterai le système pour nous éviter l’asphyxie.

 

— Mais, la remontée d’Arkan sera trop lente, vous mourrez d’épuisement, souligna Kuro.

 

— Tu doutes de mes capacités ?

 

— Non. Mais… Désolé. »

 

Après quelques consignes supplémentaires, tout le monde s’attela à sa tâche. Bepo et Shachi verrouillèrent la porte derrière Arkan afin que le Polar Tang ne soit pas inondé dans son intégralité. Quant à Law, il retourna en salle des machines. Il se positionna devant le système d’oxygénation et usa de son fruit du démon. Même s’il s’écroulait d’épuisement, il permettrait à ses hommes de respirer un peu mieux pendant quelques minutes. Le reste dépendrait uniquement de la chance d’Arkan.

Arkan vérifia que le sas était bien fermé avant de déverrouiller la porte vers l’extérieur. Il savait que dès qu’il l’ouvrirait l’eau s’engouffrerait à l’intérieur, il serait balayé tel un fétu de paille. D’un soupir mêlé de lassitude et de résignation, il attrapa le levier d’ouverture manuelle et l’actionna. Or, contrairement à ce qu’il s’imaginait, le liquide translucide ne s’écoula pas dans le Polar Tang. Dans un froncement de sourcils, tout en s’interrogeant sur les causes de ce phénomène, il acheva de l’ouvrir.

 

Pas une goutte ne franchit le seuil du sous-marin. Intrigué, Arkan marcha jusqu’à l’ouverture. Là, il se figea. Qu’est-ce que cela signifiait ? Devant lui, des poissons nageaient tranquillement sans se soucier de l’envahisseur qu’ils étaient. De l’eau, il y en avait et pourtant c’était comme si elle ne s’écoulait pas.

 

En un sens, cet état de fait le rassérénait. Le submersible n’aurait pas à subir les dégâts d’une inondation. Il ne lui restait plus qu’à quitter le navire de métal et de le harnacher du mieux possible afin de le tirer vers la surface.

 

Un léger sourire aux lèvres, il tendit les doigts devant lui pour se mêler au liquide salé. Or, à peine ses dactyles effleurèrent-ils ce dernier qu’une décharge électrique vrilla sa main. Il la retira instantanément en grognant de douleur.

 

Qu’est-ce qu’il se passait, bon sang ?! C’était comme si l’électricité du Polar Tang lui servait de bouclier. Mais comment une telle chose était-elle possible ? Une chose se révélait pourtant sûre actuellement : il ne pouvait pas sortir et accomplir sa tâche.

 

Sans perdre une seconde de plus, il referma la porte et alla frapper selon le code établi à la seconde. Derrière cette dernière, Bepo et Shachi sursautèrent au premier coup. Intrigués, ils échangèrent un regard inquiet. Arkan rencontrait assurément un problème pour solliciter qu’on lui ouvre aussi rapidement.

 

Et dès que ce fut chose faite, Arkan les dépassa sans un mot et se rua vers la salle des machines. Il devait informer Law de la situation.

Quelques minutes plus tard, Law écoutait attentivement son subordonné. Ainsi, ils étaient bel et bien bloqués dans les tréfonds de l’océan. Et la fine lueur d’espoir qu’ils caressaient jusqu’à présent venait de s’évaporer. Dépité, mais ne le montrant point, il regarda Arkan et remarqua la rougeur sur sa main.

 

Sans un mot, il mangea la distance les séparant et attrapa cette dernière. Il l’examina attentivement. Arkan retira vivement ses doigts et assura que ce n’était rien.

 

« Mes écailles n’ont pas réussi à me protéger.

 

— Va voir, Owen. Tu dois te faire soigner.

 

— Pas avant qu’on soit en sécurité.

 

En sécurité… Ce mot ne semblait plus qu’un rêve lointain et inaccessible. Sans cette enveloppe électrique…

 

Alors même que ces mots traversaient son esprit, Law se figea. Leur problème actuel résidait justement dans le manque d’énergie ! Tout n’était donc pas perdu ! Sans tergiverser une seconde de plus, il pivota vers les mécaniciens et sourit quelque peu avant de lâcher :

 

— Arkan vous a trouvé de l’électricité. »


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