Chapitre 6 : Abîme et Désespoir

La coque hurlait douloureusement. Elle menaçait de céder à tout moment sous la pression. Les tentatives des mécaniciens pour relancer les machines demeurèrent infructueuses. Et le verdict tomba tel un couperet, rude et tranchant ôtant tout espoir de survie à ses occupants.

 

Immobile, les poings serrés, Trafalgar écouta avec attention l’analyse de son subordonné. Le vieil homme, âgé d’une soixantaine d’années, connaissait son métier sur le bout des doigts. C’est qu’il le bichonnait ce sous-marin depuis bien longtemps. Depuis sa rencontre avec le chirurgien de la mort à dire vrai.

 

D’une main assurée, il retira sa casquette et laissa ses mèches blanches, hirsutes, apparaître au regard de tous. Sans faillir, il soutint les prunelles d’aciers. Il ouvrit la bouche lorsqu’une nouvelle plainte échappa au Polar Tang. Des cris de souffrance qui glacèrent le sang des pirates conscients de leur situation délicate.

 

Law abaissa les paupières, attendit que le grincement cesse pour prendre la parole. Son rôle, il le connaissait à la perfection. En tant que capitaine, la survie de ses subordonnées demeurait sa priorité. Malheureusement, aucune des informations récoltées auprès de ses hommes ne lui apportait de solution.

 

Une secousse ténue se fit sentir. Ce fut si léger que tout le monde s’imagina avoir rêvé. Toutefois, Jean Bart déboula quelques instants plus tard et annonça :

 

« Le Polar Tang a cessé de couler.

 

— Nous sommes au fond de la mer ? s’enquit Owen avec inquiétude.

 

— Je ne pense pas. Il est plus probable de supposer que nous sommes sur un rebord ou quelque chose du style, répliqua le géant avec aplomb. Mais, difficile à dire sans projecteur.

 

Trafalgar croisa les bras et médita ces quelques données. Au moins, ils ne sombraient plus dans les abysses. La pression ne les annihilerait donc pas. Tout du moins pas dans l’immédiat.

 

— Notre situation demeure inchangée, intervint Trafalgar. Il nous faut des solutions. Louis ?

 

— Oui ?

 

— L’état des batteries et du générateur ?

 

— Aussi incompréhensible que ce soit, capitaine, toute l’électricité a été comme absorbée par quelque chose. Et sans elle, les machines ne démarreront pas. Les moteurs sont intacts et…

 

— Bon. Plus rien ne marche. Ce qui implique également que les électrolyseurs à membranes ne fonctionnent pas. Par conséquent, nous manquerons bientôt d’oxygène.

 

Pragmatique dans l’âme, Law préférait occulter le fait que tout le monde n’était pas aussi insensible et détaché que lui. Enfin, il favorisait l’honnêteté aux mensonges et nul ne pouvait le blâmer. Après tout, il s’interdisait de les encourager à nourrir un espoir qui n’existait pas. Face à cela, Louis leva les yeux au plafond, cherchant l’aide d’une quelconque puissance supérieure. Décidément, Law n’en manquait pas une dans les situations extrêmes. Il oubliait un peu vite que tout le monde n’était pas comme lui. La peur de la mort ne l’ébranlait sans doute plus pour l’avoir côtoyée à maintes reprises. Mais, ce n’était pas le cas de tous à bord. Il suffisait pour le comprendre de regarder autour et d’écouter.

 

Des murmures horrifiés s’élevèrent de part et d’autre. L’inquiétude se peignit sur tous les visages. Mais comment ne pas angoisser lorsque tout se liguait contre vous ? Froid comme à son habitude, le chirurgien de la mort ordonna alors de réduire les mouvements de chacun.

 

— Plus on bouge, plus on consomme d’oxygène. Louis, prends une équipe de trois et essayez de mettre une solution au point. Faites des roulements s’il le faut. Quant aux autres, dormez. Minimalisez vos déplacements au strict nécessaire. »

 

Sur ces dernières paroles, il tourna les talons et s’enferma dans son bureau. Il devait trouver une issue. Il refusait de périr de la sorte. Il n’avait encore rien accompli !

Owen exhala un long soupir, tâta pour la centième fois de la journée le poignet de la jeune femme inconsciente. Son cœur pulsait à un rythme régulier. Il se réjouit de la réussite de sa tâche. Hélas, il ne s’en enthousiasmerait pas très longtemps, pensa-t-il en dévisageant la patiente. Si aucune échappatoire n’apparaissait au bout du tunnel, la grande faucheuse les emporterait tous.

 

Mais hors de question de se laisser abattre. Tout n’était pas perdu ! Le capitaine et les autres se démenaient pour dénicher une solution. Il agirait de concert au poste lui incombant. Cependant, il fallait bien admettre que son mental faiblissait. Fort heureusement, il s’occupait l’esprit pour oublier les lugubres grincements de la coque soumise à la pression de l’eau. Le Polar Tang résistait pour le moment, mais la question demeurait pour combien de temps encore ?

 

Il changeait le pansement de la jeune femme lorsque la porte s’ouvrit derrière lui. Sans un mot, il poursuivit sa tâche. Nul besoin de se retourner pour vérifier l’identité de l’arrivant. Il lui suffisait d’écouter les bruits de pas. Le capitaine avait une manière bien personnelle de se mouvoir. Une façon qu’il appréciait tout particulièrement et qu’il reconnaîtrait entre tous.

 

 

Silencieux, le chirurgien de la mort s’approcha. Il attrapa le compte rendu médical de la patiente et le parcourut. Il le reposa et s’immobilisa aux côtés de son assistant. De quelques mots, brefs et neutres, il lui communiqua la situation avant de lui fournir quelques consignes. Les mêmes que celles données au reste de l’équipage.

 

Owen pinça les lèvres et opina du chef sans oser le regarder. Mourir… Voilà l’issue qui les guettait. Ce n’était donc pas la pression qui meurtrissait la coque, mais la lame aiguisée de la faucheuse s’annonçant.

 

« Mais avant de te reposer, regroupe dans cette pièce les bouteilles d’oxygène et les masques. Nous risquons d’en avoir besoin », fit subitement Trafalgar en se détournant.

 

Il n’était pas dupe. Si aucune solution n’était trouvée, ces quelques bouteilles ne feraient qu’allonger de quelques minutes, quelques heures, des vies vouées à disparaître.

 

Owen opina du chef et emboîta le pas de son capitaine rejoignant la sortie lorsque ce dernier le complimenta pour son travail. Certes, les agrafes laisseraient une vilaine cicatrice, néanmoins, elle vivrait. Enfin, s’ils échappaient au destin sordide, les appelant de ses bras inhospitaliers. Autant dire que ce compliment inattendu réchauffa quelque peu le cœur d’Owen.

Dans la salle des machines, les mécaniciens encore au travail cherchaient une solution. Comment redémarrer les moteurs sans électricité ; surtout que majoritairement chaque appareil usait de cette source d’énergie. Cela signifiait que pour espérer remonter à la surface, il faudrait que cette dernière soit considérable.

 

Louis, les bras croisés, fixait les turbines. Il ne s’agissait point d’une panne quelconque ; et jamais l’équipage n’avait eu à affronter pareil cas de figure. Ses compétences, bien que nombreuses, ne se concentraient que dans le domaine mécanique. Le reste lui échappait totalement.

 

Seulement voilà, il avait la charge, la responsabilité de trouver une solution. Malheureusement, les alternatives, quelles qu’elles soient, demeuraient hors de portée. Comment remplacer l’électricité ? Impossible à l’état actuel des choses.

 

Plus les heures passaient et plus la frustration le gagnait lorsque tout à coup l’un de ses hommes intervint. Âgé de vingt ans, d’épais cheveux longs et noirs cascadaient sur ses épaules. Un simple élastique les retenait à leur base. Ses yeux d’un bleu profond brillaient d’une détermination qu’il avait visiblement perdue avec le temps.

 

« Nous pourrions sortir du sous-marin pour y accrocher des ballons qu’on remplirait d’oxygène. Ça nous permettrait de remonter.

 

— C’est faisable, sauf que les portes s’ouvrent…

 

— Non, écoute-moi, Louis. Si on déverrouille le sas principal manuellement, c’est jouable.

 

— Mais, l’eau s’introduirait à l’intérieur et on mourrait noyés, répliqua un autre.

 

Un débat animé s’ensuivit. À bout de patience, le chef mécanicien leur intima le silence. Il exhala un long soupir, retira sa casquette et se gratta nerveusement la nuque.

 

— Ton idée est bonne, Kuro. Mais, trop risqué. Et puis, notre remontée sera trop lente. On crèvera sûrement avant d’atteindre la surface.

 

Le calme regagna la salle des machines. Cette pièce n’avait jamais été aussi peu animée. Dans un souffle, assis en tailleur sur le sol, Louis inclina la tête sur le côté. Comment parviendrait-il à satisfaire son supérieur et ami, cette fois ?

 

— Il nous faudrait une nouvelle source d’énergie, marmonna un homme d’une trentaine d’années.

 

Il avait les cheveux vert pâle et des prunelles d’une teinte plus prononcée que celle de sa crinière. De haute stature, il s’avérait assurément être le plus musclé des mécaniciens et répondait au nom de Bawi.

 

— Je crains que cela ne soit mission impossible. Nous n’avons guère le temps d’en créer une, sans compter que nous devrons modifier les moteurs, soupira piteusement Louis.

 

— L’électricité reste notre seule option. Mais nous ne pouvons pas en fabriquer nous-même.

 

— On le pourrait avec des oranges. Il y en a plein dans la réserve, intervint Kuro.

 

— Certes, l’idée est bonne. Mais nous n’obtiendrons jamais assez de puissance pour le moteur.

 

Les Hearts présents échangèrent un regard inquiet. Malgré leur désir de réussite, les solutions se défilaient. Le poids des responsabilités s’accrut sur leurs épaules. Bawi bondit subitement sur ses pieds et s’écria :

 

— On a une source d’énergie à bord !! »

 

Comme tout le monde le dévisageait, il se fendit d’un large sourire. Les mains sur les hanches, il flatta son ingénierie. Bien que ses compagnons le considéraient tout en guettant une explication, ce dernier s’échappa de la salle des machines.

 

Il réapparut quelques minutes plus tard en compagnie de leur capitaine tout autant intrigué que les autres. Il fallut que Bawi expose sa pensée pour que la lumière se fasse sur son idée de génie.

 

Louis ne put qu’opiner du chef. Son subordonné marquait quelques points. Toutefois, son plan avait quelques lacunes. Et alors que Law acceptait, Louis intervint. Il devinait son supérieur tout aussi anxieux que le reste de l’équipage sur la situation actuelle, néanmoins, toutes les idées n’étaient pas bonnes à saisir. Comme celle présentée par Bawi.

 

Trafalgar exhala un long soupir et vérifia les options subsistants avec les mécaniciens. Toutefois, aucun d’entre eux n’avait mieux à suggérer. Ce point conforta le chirurgien de la mort sur sa décision.

 

« Je vais le faire.

 

— C’est ridicule, Law, commença Louis.

 

Un regard noir le réduisit au silence. Il était rare que son capitaine le dévisage de cette façon. Et quand il le faisait, cela signifiait tout simplement qu’il l’agaçait. Malgré tout, le vieil homme persista. Il lui agrippa le bras et insista :

 

— Écoute-moi ! Je sais combien tu veux tous nous sauver. Mais, ce n’est pas une bonne idée. Pour que cela fonctionne, il faudrait de l’électricité en continu. Tu finiras asséché avant même qu’on ne parvienne à la surface. Ce qui signifie que nous retomberons dans les abysses, et peut-être plus bas encore.

 

— C’est inconscient, capitaine. Louis a raison, intervint Kuro. Vous mourrez d’épuisement. Laissez-nous du temps. On trouvera forcément quelque chose.

 

— Je peux aider.

 

Au son de cette voix, tout le monde pivota vers la porte. Dans le cadre, appuyé avec nonchalance, se dressait Arkan. Ses épais cheveux blancs enveloppaient un visage au teint basané. Ses yeux bleus étaient mis en valeur par la teinte sombre de son épiderme. De haute taille et de carrure digne d’un boxeur, il occupait toute l’ouverture.

 

— Comment ça ? demanda Kuro intrigué.

 

— Je vais sortir et…

 

— Hors de question ! le coupa Law. Nous sommes à des milliers de mètres sous la surface, sans compter que les monstres marins font légions ici. Ils ne feront qu’une bouchée de toi. »

 

Arkan ouvrit la bouche, prêt à argumenter plus avant, mais Law le dépassa d’un pas vif. Ce départ ne surprit personne, mais eut pour effet de conclure le débat. Le blanc le suivit du regard avant de porter son attention sur les mécaniciens. Tout reposait sur eux et il semblait, à leurs expressions, que l’issue de tout ceci serait fatale.


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